Ils jouent le drame de leur vie sans vraiment s'en rendre compte... Nino et Petru sont deux amis paumés, et surtout très naïfs, qui attendent en vain, à l'arrière d'un bar sicilien, que le vent tourne en leur faveur.

Pierre-François Legendre et Marc Beaupré ont trouvé le ton juste et le geste approprié pour dépeindre ces deux presque clowns imaginés par le dramaturge italien Spiro Scimone, dans un huis clos «sans psychologie» mis en scène par Luce Pelletier, qui poursuit de belle façon son «cycle italien».

Bien sûr, on pense à Vladimir et Estragon, ces antihéros de la pièce En attendant Godot de Samuel Beckett. Comme eux, Nino et Petru mènent une quête aussi confuse que désespérante dans l'attente. Dans le cas spécifique de Bar, pour se sortir de leur condition miséreuse et changer le cours de leurs vies. Comme eux aussi, ils multiplient les bavardages sur des sujets aussi absurdes et futiles que la chasse aux mouches et aux coquerelles; le réveille-matin de Nino qui n'a jamais sonné parce que sa mère l'arrête toujours 10 minutes avant, etc. Peu importe, demain ira mieux. On fera ce qu'on veut. On travaillera. On sera riche.

Ces deux êtres à la fois attachants et incapables de réaliser leurs plus vils projets sont éminemment caricaturaux. Avec ce Petru au chômage qui fraye avec la mafia, tout en se faisant magistralement rouler... Et ce Nino, totalement sous l'emprise de sa maman, prêt à tout pour devenir un vrai barman «qui fait des apéritifs» ...

On se dit et redit que ces deux-là sont vraiment des pauvres types.

Le tour de force de Luce Pelletier est certainement d'être parvenue à enrober ces deux personnages en forme d'épaves d'un glaçage et d'une ambiance (excellente musique de Catherine Gadouas) à mi-chemin entre le cirque et la bédé. Même leurs visages sont recouverts d'une poudre blanche qui leur donne des airs de bouffons ou de clochards. Confinés à un tout petit espace de jeu, Pierre-François Legendre et Marc Beaupré (qui a remplacé Jean-Nicolas Verreault au pied levé) témoignent d'une belle complicité dans cette partition à deux voix, sans prétention, qu'ils maîtrisent fort bien.

En moins d'une heure, nos deux clowns, qui nous font rire tant ils s'enlisent et s'engluent dans leur immobilisme, n'arrivent à strictement rien. Et pourtant, ils ne perdent jamais espoir. Au contraire, ils ont cette petite lueur brillante dans les yeux, ce petit rictus en coin qui s'obstine à nous dire: on y est presque. Même s'ils n'y sont pas du tout. Qu'à cela ne tienne, ils se versent un dernier verre et puis ils se disent: basta.

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Bar, au Théâtre Prospero jusqu'au 5 février.