L'histoire pourrait se résumer en une seule question: coupable ou non coupable? Or, au théâtre comme dans la vie, rien n'est jamais si simple. Jennifer Tremblay en fait la démonstration dans La liste, monologue brut porté par Sylvie Drapeau qui a remporté un prix littéraire du Gouverneur général en 2008.

Une femme est morte dans des circonstances tragiques. Elle s'appelait Caroline. Sa voisine, une femme sans nom interprétée par Sylvie Drapeau, est toute chavirée par cette mort annoncée... qu'elle aurait peut-être pu éviter. Peut-être pas. Elle se sent coupable. Là, sur scène, elle racontera sa version de l'histoire ni plus ni moins pour demander au public s'il la croit responsable de ce désastre humain.

 

Jennifer Tremblay n'y va pas par quatre chemins: avec sa pièce La liste, qui est mise en scène par Marie-Thérèse Fortin, elle voulait «terrasser» le spectateur et pas seulement le «toucher». Elle avoue d'ailleurs avoir longtemps cherché la forme la plus efficace pour arriver à ses fins avant d'opter pour de courtes phrases sèches et directes, un style qu'elle dit inspiré par le courriel.

«Je me suis dit que cette histoire était tellement épouvantable que, pour faire ressortir le tragique, il fallait que j'enlève toutes les fioritures, que j'aille à l'essentiel», expose l'auteure qui, en plus d'écrire pour le théâtre, a publié plusieurs albums jeunesse et participé à des séries télévisées (surtout Les Chatouilles, à Radio-Canada).

La liste prend la forme d'un monologue où il est abondamment question de deux femmes: l'une, la narratrice, se trouve sur scène; l'autre, Caroline, n'existe qu'à travers son récit. Deux lointaines voisines, puisqu'elles vivent à la campagne, et deux mères aussi différentes qu'il est possible de l'être. Caroline vit dans le désordre avec sa ribambelle d'enfants. La narratrice semble être maniaque de l'ordre et passe son temps à rédiger des listes de choses à faire.

«Ce n'était pas dans mon intention d'aborder ce récit-là comme une liste de tâches à accomplir», révèle l'auteure. Les énumérations du genre «Vider lave-vaisselle. Décongeler poulet. Vérifier filtre» ne s'y sont glissées qu'à la toute fin du processus d'écriture. En plus de rythmer le texte, elles en rehaussent toutefois la portée poétique et contribuent à son tonus dramatique. La liste devient ni plus ni moins que l'arme du «crime» - si crime il y a eu.

La mère parfaite

L'obsession des listes, qu'on dresse pour un oui ou pour un nom, trahi un certain désir de perfection chez la narratrice. «C'est un mal du siècle, de l'ère Martha Stewart, mais c'est aussi une manière de survivre pour elle, croit Jennifer Tremblay. C'est une personne qui aime l'ordre. Les enfants, c'est plein de vie, c'est le contraire de l'ordre et de l'organisation. Elle a juste cherché à ne pas perdre le contrôle de sa vie. C'est sa façon à elle d'être une bonne mère.»

Et être mère, en ce début de XXIe siècle, n'est visiblement pas une sinécure. La narratrice souffre de la solitude, regrette qu'il soit si compliqué de voir les amis et de n'avoir personne sur qui s'appuyer. De n'avoir personne à qui parler, en somme. «Une mère qui reste à la maison en 2010 est extrêmement isolée. La communauté des femmes n'existe plus», remarque la dramaturge.

«Les gens sont tous, toujours, débordés», ajoute-t-elle. La terrible fin de Caroline n'est d'ailleurs pas étrangère à ce rythme de vie effréné. Un petit oubli, qui prend la forme d'une tragédie. «Le malaise qu'on ressent à la fin - s'il y en a un -, c'est qu'on est dans une zone grise, estime Jennifer Tremblay. La pièce ne donne aucune réponse, elle plonge dans un questionnement.» Et noue l'estomac.

La liste, de Jennifer Tremblay, du 12 janvier au 6 février.