Leur rencontre sur la scène du Prospero est explosive. Pendant les 90 minutes de Blackbird, on se dit que ce huis clos, qui les emprisonne dans un cauchemar de désir, de rancoeur, de vengeance et de tendresse, est un cadeau des dieux pour deux acteurs de leur calibre.

Catherine-Anne Toupin et Gabriel Arcand. L'une est séduisante, sulfureuse, souvent sollicitée pour jouer des rôles plus légers ou sexy, mais tout à fait capable de profondeur et de complexité. Lui est charismatique à mort, déstabilisant, ténébreux, insaisissable.

Dans Blackbird, de l'auteur écossais David Harrower, ils forment un couple interdit, réuni après un «trou noir» de 17 ans. On apprend qu'ils ont été amants quand elle avait 12 ans et lui 40. On entend la version des faits de chacun dans le bureau de l'homme (Peter), où ils se sont réfugiés. Il jure l'avoir aimée, même si elle n'était qu'une enfant. Elle lui reproche de l'avoir utilisée, d'avoir gâché sa vie, se montre jalouse de la femme avec qui il a refait sa vie. Elle le séduit, le hait, le méprise, le traite de tous les noms, l'aime encore. Il est dépité, violent, face à un fantôme honteux qu'il a voulu effacer à jamais.

La mise en scène de Téo Spychalsky est brillante, parce qu'il maîtrise le chaos des émotions pour les faire culminer vers une conclusion. Jusqu'à la scène, qui est encombrée de déchets, de souillure. Les deux acteurs s'affrontent, se coupent la parole et règlent leurs comptes en visitant les zones les plus sombres et inquiétantes de la psychologie humaine.

Parce que Blackbird est avant tout une pièce sur la réparation, ou plutôt sur l'impossibilité de revivre et comprendre le passé. Il a refait sa vie, après des années passées en prison. Il s'est battu pour trouver une vie normale, respectable, une femme aimante de son âge, un emploi décent. Tandis qu'elle est restée accrochée à cette histoire. Accrochée à lui, à sa colère, au regard des autres sur elle, à l'amour qu'elle a eu pour lui, celui d'une enfant qui ne connaît pas la peur et les interdits.

On compatit parfois avec l'homme, qui n'a pas voulu lui faire de mal, qui jure l'avoir aimée sincèrement. Et juste après, notre point de vue change, on se dit qu'il a abusé d'elle et l'a jetée ensuite, qu'il a agi égoïstement et sans discernement. Elle le blâme, lui raconte son enfer de persécutée. Et de victime pleine d'accusations, elle se transforme en vamp, en séductrice...

Mais cessons tout de suite la description. J'en ai déjà trop dit. Sachez seulement que ce Blackbird (habilement adapté dans une langue québécoise par Étienne Lepage) est une explosion scénique qu'il ne faut absolument pas rater. Un objet dérangeant sur l'immense complexité des amours humaines et l'impossibilité de refaire le passé. Il faut un courage impossible pour jouer ce texte. Catherine-Anne Toupin et Gabriel Arcand font de la haute voltige. Mais gare aux séquelles: on ne sort pas indemne de ce Blackbird. Il n'y a rien de noir ou blanc. Que des humains qui s'aiment et se brisent les ailes.

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Blackbird, de David Harrower, au Théâtre Prospero, jusqu'au 23 mai.