Malgré quelques déceptions, les 10es Coups de théâtre ont encore une fois fait preuve d'innovation, concluant hier un marathon de 14 jours où plus de 18 spectacles, dont 10 créations québécoises, ont pris l'affiche. Le festival bisannuel, qui attire en moyenne 10 000 spectateurs, a offert une autre programmation jeune public de grande qualité.

Le directeur artistique et fondateur des Coups de théâtre, Rémi Boucher, était satisfait hier, de cette programmation-anniversaire qui a puisé à la fois dans le théâtre, la vidéo, la danse et la musique et qui présentait, outre la dizaine de créations québécoises, des pièces venues de France, de Belgique et de Norvège. «Je suis très heureux de la réaction du public face à ces spectacles très différents», a-t-il dit en substance.

 

Dès le début du festival, Rémi Boucher nous confiait que l'événement visait, bien sûr, le jeune public, mais aussi les adultes, qui sont nombreux à assister aux représentations. Une occasion, disait-il, de faire d'une pierre deux coups. Ces doubles coups ont sans aucun doute été ressentis parmi les jeunes venus en hordes scolaires pendant la semaine et les familles qui ont répondu à l'appel les week-ends.

Le public adolescent, qui n'aime pas particulièrement être l'objet d'étude et de dissection des créateurs, et qui n'apprécie guère les récits moralisants, a été bien servi. La programmation destinée aux ados a fait mouche. Isberg, proposée par le Clou! dans une mise en scène de Sylvain Scott (sur la musique inspirante de Yann Perreau), le solo de Bang Boy, Bang! du Youtheatre, ainsi que le théâtre-film Kiwi, de Daniel Danis, comptent parmi les moments forts de ces Coups.

Même La fugue, une pièce musicale proposée par la compagnie Qui va là et la Société de musique contemporaine du Québec - dont le récit était parfois un peu nébuleux -, a capté l'auditoire adolescent, visiblement déstabilisé par cette savante mixture faite de musique et de manipulation d'objets, qui raconte la fugue et la chute d'un adolescent devenu anonyme.

Un mot quand même sur Kiwi, une création vraiment originale sur le plan de la forme et du contenu, qui a d'ailleurs remporté le prix Louise-LaHaye pour le meilleur texte jeune public. Les deux acteurs sont filmés avec une caméra à vision nocturne, ce qu'on ne voit pour ainsi dire pas au théâtre; leur image est projetée sur deux écrans géants placés sur la scène. Le texte de Danis, à la fois dur et poétique, s'imbriquait à merveille dans ce format si particulier, qui donnait beaucoup de relief aux personnages représentant des enfants de la rue.

Arts et technologie

La présence accrue de la vidéo dans plusieurs productions est surprenante et mérite d'être soulignée. Les nombreuses projections vidéo, en appui au récit, au son, à la lumière et au jeu des acteurs réinventent le théâtre par le biais de la technologie. Un changement que l'auteur Daniel Danis comparait en entrevue à la transition vécue par le théâtre à chandelles avec l'arrivée de la lumière électrique sur les scènes de théâtre!

Pour le plus jeune public, disons les 5 à 12 ans, plusieurs productions ont rivalisé d'originalité, à commencer par Petit pois, de la Belge Agnès Limbos, qui avait été programmée aux tout premiers Coups de théâtre en 1990. Cette histoire abracadabrante narrée par un clown qui cherche à connaître l'origine d'un petit pois trouvé dans un chou-fleur, n'a apparemment rien perdu de sa fraîcheur, et a su renouveler son public.

Mentionnons également Migration des oiseaux invisibles, de la compagnie Mathieu François et les autres, qui sera heureusement représentée à la Maison théâtre en février pour ceux qui, comme moi, l'auraient ratée.

Et Variations mécaniques, un solo de danse ludique interprété et chorégraphié par Harold Rhéaume, dont la proposition, juste assez abstraite, n'a pas manqué de titiller l'imagination des petits grâce à ses multiples interactions avec des personnages projetés sur un écran en arrière-plan.

La France bien représentée

Cette programmation nous a également révélé deux créateurs français fascinants. D'abord l'auteur et metteur en scène Joël Pommerat, qui a ouvert les 10es Coups avec son Petit chaperon rouge. Une adaptation du conte de Perreault qu'on espérait plus déjantée et plus touffue sur le plan scénographique, mais qui nous a tout de même permis d'apprécier l'écriture épurée et percutante de Pommerat ainsi que le jeu inspiré de ses comédiens au registre impressionnant.

Autre belle découverte: Christian Duchange, directeur artistique et metteur en scène de la compagnie L'Artifice, qui présentait deux petits formats de pièces savoureuses, la chantefable Aucassion et Nicolette et Un malheur de Sophie, adaptation bien sûr des histoires de la comtesse de Ségur. Ces courtes pièces dépouillées, destinées à ce que Duchange appelle les «éloignés du théâtre», et qui sont normalement présentées dans des écoles ou des bibliothèques, ont été de véritables bouffées d'air frais pendant ce festival.

Parlons un moment du sympathique Cabaret dansé des vilains petits canards de la chorégraphe Hélène Blackburn, qui s'adresssait pour la première fois à un très jeune public (à partir de 4 ans). Musique et danse n'ont jamais autant fait bon ménage que dans ce cabaret.Un pianiste et six danseurs nous en mettent plein la vue, narrant l'histoire des Vilains petits canards et celle d'Odette, du Lac des cygnes, dans un joli tableau qui célèbre la différence et qui ne manque pas de faire un parallèle avec le monde de la danse, vilain petit canard des arts de la scène!

Parmi les quelques autres pièces que nous n'avons pu voir, mais qui méritent d'être nommées, L'ombre de l'escargot, de la compagnie Nuages en pantalon. Également la pièce Frankenstein, programmée dans les événements parallèles du festival. Cette même compagnie nous avait étonnés avec sa version opéra de La chèvre de monsieur Seguin le printemps dernier, au festival Petits Bonheurs.

Deux déceptions: Oz, adaptation du Magicien d'Oz créée par la Compagnie Vox Théâtre il y a trois ans, qui n'est pas parvenue à nous propulser dans le monde fantastique de Dorothy, faute de moyens et de comédiens à la hauteur. Idem pour La robe de ma mère, une pièce confuse, qui a certes des qualités esthétiques, mais dont le texte tourne en rond. Une ode à la mère que les plus jeunes enfants ont certainement eu du mal à qualifier.

Une soixantaine de diffuseurs étrangers étaient présents pendant la durée du festival, ce qui devrait permettre à plusieurs productions québécoises de voyager. Rémi Boucher nous annonçait déjà hier que Migration des oiseaux invisibles et Isberg seront présentées en France, Variations mécaniques au Japon et Kiwi en Suisse, en France et en Belgique.

Aux prochains Coups de théâtre, en 2010, Rémi Boucher espère présenter, en plus des productions locales et de celles provenant de France et de Belgique, de nouvelles propositions artistiques de Norvège, de Hollande et de Suisse, des lieux où, selon lui, les créations foisonnent. Des 11es Coups qui s'annoncent déjà imprudents!