Coïncidence ou sacré flair du Théâtre de l'Opsis? Qu'importe: assister à une adaptation du Bruit et la fureur de William Faulkner en plein marasme économique, certes, mais un jour seulement après l'élection du premier président noir à la Maison-Blanche donne la mesure du chemin parcouru depuis les années 20.

Dans Le bruit et la fureur, les Noirs ne sont pas encore présidents. Ils ne sont que des «nègres», des servants, un fardeau pour leurs maîtres encore trop bons de les nourrir. Dilsey (Mireille Métélus) est la cible de toutes les attaques de Jason (Pierre-François Legendre), le fils des Compson. Elle est aussi le coeur et la mère omnisciente d'une fratrie en guerre.Dans le Sud des années 20, les déchirures d'une fratrie. Benjy, le cadet des Compson, est un simple d'esprit. Et c'est «l'Idiot» qui, le premier, raconte l'histoire de sa famille. Son amour obsessif pour sa soeur Caddy, la complicité presque incestueuse qui unit Caddy (Émilie Bibeau) et son aîné, Quentin (Francis Ducharme), et l'exclusion de Jason de leurs jeux d'enfants.

Au-delà de la haine et du désespoir, par-delà la mort, Quentin raconte ensuite le passage des enfants terribles à l'âge adulte. Le drame se noue entre les cuisses de Caddy, dans les poches de Quentin, dans les bouteilles du patriarche, qui tire sa révérence, plantant là femme et enfants. Jason conclura le drame familial dans le troisième - et fatal - tableau.

Pour reconstituer la langue de Faulkner, Luce Pelletier a conçu une mise en scène polyphonique. Les voix des narrateurs s'entremêlent, s'entrecoupent et souvent s'entrechoquent. On saute aussi du passé au présent dans les mêmes phrases.

Si le procédé ne manque pas de fluidité - les transitions se font, la plupart du temps, sans accroc -, il manque en revanche de souffle. Le premier acte de la pièce, un brin longuet, restitue certes les bruyantes brouilles familiales mais ne parvient pas à maintenir un intérêt continu.

Le salut de la pièce se fera avec l'entrée en matière de Jason (Pierre-François Legendre, étonnamment juste). Pervers et dégueulasse à souhait, Jason achève, avec la fille illégitime de Caddy, la détestable et criarde Quentin (Émilie St-Germain), la destruction de la lignée. Le spectateur n'échappera pas à la cruauté cannibale de la lignée Compson.

Avec ce nouveau volet «américain», le Théâtre de l'Opsis amène pour la première fois, semble-t-il, Faulkner sur nos planches. C'est un pari tout à fait admirable, une occasion, aussi, de découvrir la langue, cruelle et incisive, de ce génie de la littérature. Mais la réussite reste tout de même en demi-teintes: au théâtre, la pièce souffre du contraste entre l'âpreté de la langue et le statisme relatif de la mise en scène.

Le bruit et la fureur, de William Faulkner, à l'Espace GO jusqu'au 22 novembre.