Construire des ponts au lieu d'ériger des murs. Voilà la philosophie de Boucar Diouf, l'humoriste le plus sage du Québec, dont l'oeuvre est comme un éloge de l'interculturalisme.

« Malheureusement, dans le Canada de Trudeau, au lieu de mousser le sentiment commun d'appartenance, on fait la promotion du multiculturalisme, déplore l'animateur. On dresse des murs virtuels dans nos villes, au lieu d'abaisser les cloisons entre les cultures. »

Voilà le sage philosophe, disait-on, qui, à peine l'entrevue amorcée dans un café du Vieux-Longueuil, se lance dans un débat.

À 52 ans, Boucar - comme on l'appelle affectueusement - a passé autant d'années au Québec qu'au Sénégal (26). Il se voit donc comme le trait d'union dans le mot afro-québécois. Sur scène comme dans la vie, le docteur en océanographie aime marier la science et l'art, le sérieux et l'humour, la biologie et la philosophie. 

Le comédien Marc-André Grondin - qui a vu le spectacle en avant-première à L'Assomption - a écrit sur Twitter : « Si tout le Québec pouvait voir le spectacle Magtogoek de Boucar Diouf, notre société en sortirait grandie. »

« Magtogoek » - ou le chemin qui marche - est un mot en algonquin pour désigner le fleuve, car le fil rouge de son quatrième spectacle est le Saint-Laurent. Avec Boucar, on n'est jamais loin de la source et de nos racines, qu'elles soient d'ici ou d'ailleurs. 

« Mon spectacle est une croisière historique et scientifique de 1 heure 40 sur le Saint-Laurent. Avec des escales à Rimouski, Percé, Tadoussac, Québec, Donnacona... Des lieux qui ont marqué mon histoire ici, mais aussi celle du Québec. »

- Boucar Diouf

« Il y a beaucoup d'humour, mais aussi de la culture, de la poésie et de l'émotion, poursuit-il. C'est mon spectacle le plus difficile à faire sur scène parce que je passe sans cesse du rire à la réflexion. »

COMÉDIES ET PROVERBES

Quand on lui demande d'où il puise sa sagesse, son amour des proverbes et de la « belle parlure », il revient à son enfance au Sénégal. « On peut appeler cela de la sagesse, dit-il, mais moi, je préfère parler de raccourcis langagiers. J'aime beaucoup les proverbes et les petites phrases imagées qui résument une pensée. Les griots africains apprenaient à un très jeune âge, de père en fils, l'art de la parole pour mieux enrober leurs phrases. J'ai grandi là-dedans. »

Boucar Diouf estime que les Québécois sont aussi très touchés par le conte et la tradition orale de leurs ancêtres. « On n'a qu'à voir le succès de Fred Pellerin ou d'un groupe comme Mes Aïeux, dit-il. Si les Québécois ont jeté le bébé avec l'eau du bain religieux dans les années 60, le Québec demeure nostalgique de certaines choses que la Révolution tranquille a balayées. »

Humoriste, biologiste, animateur, auteur, chroniqueur à la radio et à la télévision, Boucar touche à tout, mais il y a toujours un lien, celui de la communication. « L'enseignement et la vulgarisation scientifique, de la biologie surtout, ont toujours été des passions pour moi. »

PIÈCES D'IDENTITÉ

On pourrait l'écouter nous parler des heures durant du Québec (« l'une des nations les plus pacifistes du monde »), ou encore des Québécoises (« ces femmes puissantes et fières, de vraies bagarreuses »). Toutefois, Boucar n'aime pas jouer la carte identitaire. 

« L'identité, ce n'est pas un bloc figé, c'est quelque chose qui évolue avec le temps, la nature, le mouvement. Tous les moutons apportés en Nouvelle-France venaient de l'Angleterre. Alors, quand on dit un "Québécois pure laine", on parle de laine anglaise. »

- Boucar Diouf

Si, en 1991, Boucar Diouf était débarqué à Montréal au lieu du Bas-du-Fleuve, où il a été bercé par le son de la mer, son parcours aurait été « complètement différent », croit-il. « Pour moi, le secret de l'immigration, c'est la décentralisation dans les régions. Avoir plus d'immigrants à Trois-Rivières, en Gaspésie, en Abitibi... Mais pour cela, il faut décentraliser l'économie, d'abord. »

Pour mieux vivre ensemble, partout où le Saint-Laurent coule, en transportant le courant fort et puissant de notre humanité partagée.

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Au Monument-National les 5, 6 et 7 avril et en tournée québécoise