Il y a un an, l'humoriste sud-africain Trevor Noah a remplacé Jon Stewart à la barre du Daily Show de Comedy Central. La transition fut houleuse pour le jeune homme de 32 ans, inévitablement comparé à celui qui a marqué l'histoire de la satire politique aux États-Unis. De passage à Montréal pour y présenter son spectacle solo samedi, nous avons abordé avec lui les sujets politiques de l'heure, alors qu'il préparait son émission depuis New York.

Cela fait maintenant un an que vous avez remplacé le très populaire Jon Stewart à la barre du Daily Show. Avec du recul, jugez-vous que cette occasion a été une bénédiction pour votre carrière, ou si cela s'est avéré plus compliqué que ce que vous aviez imaginé?

Je crois que ce fut plus compliqué que ce que j'avais imaginé, mais pas parce qu'on me compare nécessairement à Jon Stewart. C'est plutôt en raison des attentes qu'ont les gens à l'égard de mon travail dans le climat politique actuel. Les gens ont peur de ce qui arrive un peu partout dans le monde. Il y a tellement d'incertitude qu'il est parfois difficile d'accueillir certaines formes de changement.

Vous avez commencé récemment votre deuxième saison à la barre de l'émission. Que prévoyez-vous changer cette année?

J'aimerais m'ouvrir davantage à ce qui se passe à l'extérieur des États-Unis pour que les gens puissent entendre des histoires des quatre coins du monde. Je veux aussi approfondir certains sujets et certains thèmes, afin de ne pas suivre uniquement l'actualité établie par les médias. Je veux provoquer des discussions sur plusieurs sujets.

Donald Trump et les talk-shows

On a vu récemment les candidats à la présidentielle américaine à certains talk-shows. Ce fut le cas de Donald Trump, dont le passage à l'émission de Jimmy Fallon sur NBC a généré plusieurs critiques, puisque l'animateur ne lui a posé aucune question difficile sur les thèmes de sa campagne. Qu'avez-vous pensé de cette entrevue?

Je crois que Jimmy Fallon était égal à lui-même. Il s'est retrouvé dans une position où il recevait un politicien [polarisant] qui est écouté et suivi partout dans le monde. Les gens ont été plus surpris qu'il soit invité à son show que par les questions qui lui ont été posées. Tu ne peux pas t'attendre à ce que Jimmy Fallon devienne en une nuit un gars qui pose des questions critiques, ou qu'il se transforme en un chien qui attaque. Je ne crois pas qu'il doive être cela non plus.

Inviteriez-vous Donald Trump sur votre plateau?

Oui, mais je ne crois pas qu'il viendrait. Trump n'aime pas les plateaux où ses positions sont contestées. Il y a de ces endroits où il ne se présente pas.

Mais s'il se présentait au Daily Show, quelle serait votre première question?

Ce ne serait pas une question gentille ou facile, en raison des propos qu'il tient. J'aimerais lui demander: si vous remportez l'élection présidentielle, souhaitez-vous vraiment devenir président ou recherchez-vous le titre plutôt que les fonctions? Je crois que Trump veut tout simplement gagner comme s'il participait à une téléréalité. Il ne veut pas vraiment faire le job, ce n'est pas ça qui l'intéresse.

La satire et les politiciens

Quel rôle doivent jouer dans le débat public les émissions qui abordent avec humour les sujets politiques, comme le Daily Show?

Je crois que mon rôle est de générer des discussions. Mon rôle est de faire parler les gens, de parler aux gens et de partager avec eux une diversité d'opinions. En ce moment, nous nous concentrons trop sur ce qui nous polarise. Gauche/droite, démocrates/républicains. Ce n'est plus une conversation. Les gens choisissent leur camp et le défendent coûte que coûte.

Dans ce contexte, le rôle de votre émission est-il de bâtir des ponts?

C'est ce que j'espère ! Et si je ne bâtis pas des ponts [entre les différentes factions politiques], j'espère être un pont qui mène vers plus de nuances et une meilleure compréhension des enjeux. [...] Si les États-Unis ne font pas attention, le pays se retrouvera dans une situation où les gens vivront comme dans des tranchées et verront les opinions politiques se cristalliser.

Justin Trudeau attire l'attention

Vous abordez chaque semaine les grands enjeux de la politique américaine, mais j'ai lu quelque part que vous suiviez avec intérêt notre premier ministre, Justin Trudeau. Est-ce vrai?

Absolument! J'aime beaucoup ses points de vue et les valeurs qu'il défend.

Quelle analyse faites-vous de son style politique?

Je crois que ce qui m'attire le plus chez Justin Trudeau est le fait qu'il semble, d'un point de vue extérieur, avoir des idées politiques progressistes. En même temps, il reconnaît que le changement est quelque chose qui se concrétise à travers le temps, plutôt que de façon instantanée. J'ai écouté plusieurs de ses discours et j'aime qu'il soit aussi critique envers son propre travail, tout en demandant à ses électeurs de l'être également. Il dit aux gens: «Jugez-moi sur mon travail et ayez de grandes attentes envers moi.»

Un enfant du millénaire en ondes

Revenons un an en arrière, quand vous avez pris la tête du Daily Show. À l'époque, un patron de Comedy Central avait affirmé qu'il était fier de mettre en ondes un jeune de la génération des milléniaux, parce que vous consommez vos nouvelles et vos informations politiques différemment des générations précédentes. D'abord, vous considérez-vous comme un enfant du millénaire?

Bien sûr, je fais partie des milléniaux par mon âge, mais aussi par la façon dont je consomme mes médias. Je ne regarde pas la télévision, je consomme tout en ligne, sur demande. Je lis mes nouvelles sur l'internet et je suis plusieurs sources d'information, sur mon téléphone portable comme sur Twitter et Facebook.

Quelles sont vos principales sources lorsque vient le temps de vous informer?

Tout, vraiment! Je lis autant le New York Times que le Washington Post, en passant par Vox et le Huffington Post. J'essaie de m'informer auprès de tous les spectres politiques.

Les médias d'information semblent craindre parfois que les milléniaux s'intéressent moins à l'information, préférant le divertissement et les contenus que l'on retrouve sur YouTube. Partagez-vous cette inquiétude?

C'est vrai qu'il est difficile d'attirer l'attention des milléniaux, mais ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas curieux. C'est parce qu'ils ont une panoplie de sources qu'ils peuvent consulter. Les milléniaux ont tellement plus de choix que les générations précédentes! Ils évoluent dans un monde où il y a 500 nouveaux shows par année, des centaines de chaînes de télévision, des milliers de vidéos en ligne. Ils peuvent regarder du contenu quand ils le veulent, où ils le veulent. Ils sont intéressés par ce qui se produit, ils ont simplement beaucoup plus d'options qu'avant.

Un automne littéraire

En terminant, vous publiez cet automne un livre, Born a Crime. Il s'agit d'une collection d'essais personnels où vous parlez de votre famille, de votre mère sud-africaine et de votre père suisse. Vous parlez aussi de l'apartheid que vous avez vécu en Afrique du Sud. L'une des questions que vous vous êtes posées en rédigeant ces essais est la place que vous devez occuper dans le monde, alors que vous êtes né à l'époque dans l'illégalité (les couples mixtes étaient interdits en Afrique du Sud). Aujourd'hui, quelle place désirez-vous occuper dans le monde?

Je crois que mon rôle est d'être un vecteur de discussions. Je veux un lieu de rendez-vous où les gens viennent entendre différents points de vue. Mon but dans la vie est de nous permettre, tant bien que mal, d'engendrer des discussions qui nous permettent d'avancer tous ensemble avec un but commun. Je pense que les humains ont tous un même but et des rêves similaires, mais qu'ils n'arrivent pas à communiquer entre eux pour arriver à leurs fins. 

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Trevor Noah sera en spectacle samedi au Théâtre St-Denis. Son livre, Born a Crime, sera publié en novembre au Canada et aux États-Unis. On peut le voir à la barre du Daily Show du lundi au jeudi sur les ondes de CTV.