L'humoriste Sugar Sammy terminera au printemps sa tournée québécoise des spectacles You're Gonna Rire et En français SVP!, avant de s'installer à Paris, l'automne prochain, pour y tenter sa chance auprès du public français. La troisième saison de son émission Ces gars-là, avec Simon Olivier Fecteau, sera en ondes après les Fêtes à l'antenne de V.

Tu es né dans Côte-des-Neiges, l'un des quartiers les plus multiethniques de Montréal, et tu habites toujours dans le coin...

Je suis très proche de ma famille, donc j'habite à cinq minutes de chez mes parents. Ce sont aussi les quartiers auxquels je m'identifie le plus. Pour la créativité, c'est ce qui m'inspire le plus. Le fait d'avoir cette vitrine sur le reste de la planète dans mon quartier, ça m'a aussi aidé à pouvoir voyager et exporter mon humour.

Dans ton spectacle, tu dis à la blague que le Québec, c'est pour toi un rodage pour la France. Tu pars t'installer à Paris l'automne prochain. Tu étais sérieux, finalement?

(Rires) C'était vraiment une blague. Mais c'est devenu la réalité. Le Québec n'a jamais été un rodage! J'aurai fait ce spectacle pendant quatre ans quand ça va se terminer. C'est intéressant de pouvoir représenter une partie du Québec qu'on ne voit pas souvent dans les arts. Dans la culture populaire québécoise, on ne voit pas souvent des humoristes ou même des artistes qui s'affichent comme fédéralistes ou qui confrontent les sujets linguistiques et les questions identitaires. C'était le fun de le faire parce que personne ne l'avait fait.

As-tu été étonné d'être aussi bien accueilli partout au Québec, même si tu te moques beaucoup des souverainistes, qui comptent pour 40% de la population? Tu as vraiment été adopté par le grand public; tu as remporté des Olivier...

Je ne m'attendais pas à ce que tout le monde m'haïsse! Mais je ne pensais pas que j'allais être aussi grand public. C'est ce qui m'a le plus surpris. On aura vendu plus de 350 000 billets à la fin de la tournée. Je ne m'attendais pas à ça. Je pensais que je faisais un humour plus niché que ça. J'en suis surpris, mais très heureux. Je représente une partie de la population qui ne trouve pas malsain d'aimer le Québec et le Canada en même temps... Je me suis senti accueilli, pas seulement par le public, mais aussi par les humoristes. Ils ne m'ont jamais reproché de m'afficher comme fédéraliste.

Ça fait partie de ce qui te distingue. Il y a de façon générale un tabou du fédéralisme chez les artistes québécois. Ça ne se dit pas.

Il n'y en a pas beaucoup qui le disent.

Tu as été bien accueilli. Mais il y en a aussi plusieurs qui n'ont pas apprécié tes blagues et qui ont trouvé que tu allais trop loin. Tu as eu des menaces de mort...

Ça, ça m'a surpris! J'étais sûr que des gens seraient en désaccord avec mon point de vue. C'est normal. Je m'attendais à des réactions très fortes, mais jamais à des menaces de mort. Il y a des courriels, des posts sur Facebook, des tweets qui sont assez violents. Je les conserve dans un dossier et m'en sers dans mes pubs! Mon prochain spectacle va s'écrire tout seul... Je trouve ça intéressant de voir plusieurs points de vue s'exprimer en humour au Québec. Je pense que c'est sain. Je viens d'une minorité ethnique dans une majorité francophone qui se considère elle-même comme une minorité linguistique en Amérique du Nord. Le français est ma quatrième langue. Il y a beaucoup de niveaux là-dedans. Ce n'est pas tout le monde qui m'a dit: bienvenue chez nous! (rires)

J'ai beaucoup aimé que tu piques les francophones et les souverainistes dans ton spectacle. Je te trouve plus conventionnel quand tu parles du couple. Étant moi-même souverainiste, je trouvais même que tu sous-estimais notre capacité à rire de nous-mêmes...

No way! (rires)

C'était avant que tu reçoives des menaces de mort pour une blague sur Pauline Marois! J'avais tort?

Artistiquement, je voulais varier mon spectacle. Sinon, on a vite fait le tour de la question. Pour moi, même quand je parle du couple, ça reste dans l'esprit du spectacle. Je n'aime pas trop analyser mon humour, mais je pense que je pousse assez loin le regard sur les relations hommes-femmes. Je m'affirme un peu plus comme macho en réaction à la plainte de certaines femmes que les hommes sont devenus trop roses. L'homme rose, c'est un peu la norme dans la société québécoise. Je le prends d'un autre angle, avec une autre perspective, en incarnant le macho fédéraliste et capitaliste. C'est comme ça que je me démarque au Québec.

As-tu l'impression de savoir jauger jusqu'où tu peux aller dans ton humour?

Je cherche un équilibre. Je parle de politique, du couple, de hockey, du fait que j'ai habité longtemps chez mes parents. Je parle de ma réalité. Du fait que je suis allé à l'école secondaire la plus multiculturelle du Québec. Je présente ma vie. Mais mon but premier comme humoriste, c'est de faire rire. Si je vais trop dans l'humour politique, je fais moins rire. Il ne faut pas pousser trop loin, trop vite. Il ne faut pas assommer les gens. Il faut bien doser. J'en ai quand même beaucoup, Marc, des blagues sur les souverainistes!

Ta blague sur Pauline Marois qui a tant choqué, elle était dans une pub?

Même pas! C'était un post Facebook qui a pris une ampleur incroyable. Il y a des souverainistes qui postent des choses bien pires sur des fédéralistes, tout le temps, et ça ne fait jamais les manchettes. Mon post était la deuxième manchette aux nouvelles, partout au Québec! Comme humoriste, j'aime bien observer tout ça.

Dans quelle mesure te renvoie-t-on à tes origines? Tu entends souvent le fameux «Retourne dans ton pays»?

C'est sûr. Je suis rendu au point où je sauvegarde les messages racistes, comme je te dis. J'ai gardé seulement les plus gentils pour mes pubs! (rires) Il y en a qui sont trop violents. C'est sûr que je vais en parler dans mon deuxième spectacle. Mais je sais très bien que c'est loin d'être une majorité de Québécois qui pense ça. Il y a quelques ultranationalistes qui ont un point de vue parfois inquiétant. On les identifie facilement sur Twitter...

Ils ont tous un «Oui» ou un drapeau du Québec sur leur avatar. Je me méfie d'eux. Ils sont rarement nuancés.

J'ai beaucoup d'amis souverainistes. J'aime discuter de politique avec eux. Je suis capable d'en rire et de rire de moi-même. On en a joué là-dessus dans un récent épisode des Pêcheurs avec Martin Petit et Laurent Paquin. C'était très drôle!

Tu t'es construit une carapace contre les propos racistes?

En 2015, dans la société dans laquelle on vit, de la manière dont on a été éduqués, je trouve surtout ça triste d'être raciste. Ça ne me fâche pas. C'est comme si je lisais un livre d'histoire sur la discrimination contre les Noirs dans les années 60. Je le vois avec cette distance-là. Je ne peux pas m'imaginer que ces discussions-là existent encore. Je me sentais triste pour les fans des Bruins qui attaquaient P.K. Subban avec des propos racistes, il y a quelques années. En grandissant dans Côte-des-Neiges avec des amis juifs, maghrébins et haïtiens, le respect de l'autre et de ses différences, ç'a toujours fait partie de mon quotidien.

Le mot de François Bellefeuille, directeur invité

«Je trouve que Sugar est très important dans le paysage humoristique québécois. Il s'amuse avec les limites de notre capacité d'autodérision collective. Son terrain de jeu est l'identité. Autant notre identité en tant que société qu'en tant qu'ethnicité. Le public québécois adore l'humour, mais il est un peu plus frileux qu'ailleurs à l'idée de se faire bousculer dans ses idées et ses valeurs. Les humoristes qui grattent le bobo des spectateurs avaient moins la cote depuis 20 ans. Très heureux de voir que c'est en train de changer. Continue à nous baver, Sugar, tu nous fais du bien!»