L'humoriste type est-il plus déprimé que l'humain moyen? Plusieurs indices donnent à penser que oui. Le clown est triste... et anxieux.

Au lendemain du suicide de Robin Williams, le grand manitou du Festival Juste pour rire, Gilbert Rozon, a lancé le débat sur la détresse psychologique dans le milieu de l'humour.

«C'est un métier exigeant. La pression de faire rire est énorme. Une bonne proportion des humoristes sont angoissés ou souffrent de troubles mentaux. Une proportion plus grande que dans la population en général, je crois», a-t-il confié à La Presse.

Vrai? Une récente étude de l'Université d'Oxford, en Angleterre, tend à lui donner raison. Non seulement les comiques sont plus introvertis que ceux qui pratiquent un métier plus traditionnel, mais leurs qualités créatives ressemblent étrangement à la manière de penser des personnes schizophrènes et bipolaires.

Alors, est-ce que l'industrie du rire attire des personnalités dépressives, ou est-ce que le monde de l'humour rend tout simplement malheureux? La réponse est entre les deux.

«Avant tout, dit la directrice de l'École nationale de l'humour, Louise Richer, le rire est un mécanisme d'adaptation. On a tous connu quelqu'un qui voulait être drôle parce qu'il se trouvait laid ou qu'il n'arrivait pas à séduire les filles. Alors pour plusieurs, l'humour a été une arme dans leur vie bien avant de devenir un métier. Ils n'ont pas tous eu une vie facile.»

«La scène peut servir à certains de thérapie pour traverser la vie», ajoute Gilbert Rozon. Il raconte qu'une superstar du rire lui a un jour confié n'être heureuse que devant son public. «Ça fait beaucoup de temps à être malheureux, ça», dit-il.

«Je suis né déprimé», confie l'humoriste québécois Michel Mpambara. L'homme de 41 ans souffre de bipolarité. Il est torturé et il ne s'en cache pas. Il aurait pris une autre voie que le diagnostic aurait été le même. Mais le chemin choisi ne lui rend pas la tâche facile. Un chemin jalonné de pression, d'inquiétudes et d'insécurité.

«Faire rire, c'est à la limite du ridicule, dit-il. J'ai toujours peur d'être dans un dîner de cons. Est-ce que les gens rient avec moi, ou est-ce qu'ils se moquent de moi?»

L'homme confie avoir beaucoup de difficulté à se défaire du personnage de clown qui lui colle à la peau.

«Ma soeur m'appelle l'oncle drôle. Je déteste ça. Avec ses enfants, oui, on rit et on s'amuse, mais à la fin, je suis épuisé. Et parfois déprimé.»

Partout, on s'attend à ce qu'il fasse rire. Il se souvient d'une journée particulièrement noire. Il est monté dans l'autobus. Triste. «Le chauffeur s'est mis à rigoler. Je suis entré dans le jeu et je n'ai pas pu vivre ma mélancolie. Après, j'étais frustré d'avoir été privé de ce moment.»

Dans la rue, les gens veulent lui raconter des gags. «Ils se disent que je dois aimer ça. Des fois je n'ai pas envie. Je ris, mais le rire qui sort de ma gorge me fait mal.»

Des histoires comme ça, Louise Richer en a vu beaucoup. «On ne demande pas au chanteur de nous chanter une chanson chaque fois qu'on le croise. Mais l'humoriste doit toujours faire rire.»

Chaque année à l'école, elle accueille ses jeunes recrues avec un avertissement. «Préparez-vous. Vous allez vivre des moments de grande souffrance.» Le temps lui donne souvent raison. «Durant l'année, dit-elle, plusieurs viennent me voir parce qu'ils ont cassé avec leur blonde. Ils ont rien que le goût de brailler, mais ils doivent écrire des gags. C'est comme ça, la profession. Ta vie privée va mal et tu dois quand même faire rire le monde.»

«The show must go on», dit-elle. «La compétition est féroce. Tu n'as pas le temps de t'arrêter pour vivre la peine. Il y en a dix qui attendent en arrière.»

Elle leur apprend à puiser dans leur souffrance pour écrire leurs numéros. «Évidemment. Il faut avoir assez de recul pour que ce soit drôle.» Dans leurs spectacles, plusieurs humoristes font rire avec des anecdotes très intimes. Louis-José Houde parle, par exemple, de l'avortement de sa blonde. Robin Williams s'est moqué sur scène de ses propres problèmes de drogue.

Oui, ils grattent une plaie ouverte. Mais pour certains, l'humour est l'unique façon qu'ils ont trouvée d'extérioriser la souffrance.

Michel Mpambara a un jour tourné en ridicule la mort tragique de son frère lors d'un souper familial. Ç'a été mal reçu. «Mais sur une scène, ça aurait fonctionné. C'est ça la beauté du spectacle», dit-il.

C'est entre autres pour cela qu'il s'ennuie tant du public, lui qui traverse une période creuse qui s'éternise sur le plan professionnel.

«Je rêve de retourner sur scène pour recommencer à vivre. J'ai faim. Mais en ce moment, je mange des miettes. Tout le monde travaille et moi, je n'ai pas de travail. On a un peu l'impression de ne pas être vivant. Je veux voir si je suis encore capable de montrer mes démons.»