Mercredi soir au Saint-Denis, pour la première médiatique de l'humoriste Nabila Ben Youssef, c'était comme si nous recevions un peu la brise de ce vent de liberté qui traverse présentement le monde arabe. Reprenant les mots de René Lévesque, elle a confié: «Je n'ai jamais été aussi fière d'être Tunisienne». Mais qu'on ne se trompe pas: Nabila est ici pour rester. Et c'est bien tant mieux: Le Québec, et le monde de l'humour, a besoin de Nabila. «C'est chez nous «icitte», et ça fait 15 ans que j'attends que le Canadien gagne la coupe Stanley!».

Il n'y a rien de plus émouvant que de voir un artiste conquérir son public - séduire serait un meilleur terme pour Nabila Ben Youssef, charmante avec son accent qui bute sur nos mots, drôle à sa manière et franchement belle, il faut le dire. Quand nous l'avions vue l'an dernier, dans le pauvre décor d'une petite salle qu'elle avait louée elle-même, y mettant toutes ses économies, on y a cru, malgré ses maladresses, et il y en avait encore mecredi. Mais la pertinence de cette humoriste dans notre paysage s'est confirmée.  Elle a vraiment ravi le coeur des spectateurs et des spectatrices - un exploit quand une humoriste joue la carte de la séduction comme elle - par un habile mélange de références québécoises et arabes. Par des prises de positions tranchées aussi. C'est parce qu'on la trouvait déraisonnable dans son pays d'origine, la Tunisie, qu'elle est venue ici et qu'elle ne se gêne pas pour égratigner nos accommodements raisonnables, qu'elle voit comme une «régression tranquille».

«Ni pute, ni soumise» se dit-elle, ni aux hommes, ni à la Tunisie, ni au Québec. Elle se considère parfaitement intégrée et quand elle entend un immigrant chialer, elle lui dit: «Si t'es pas content, décâlisse!».  Ça se lit de plusieurs manières... Après tout, sa citoyenneté canadienne lui a été accordée en un temps record tout juste avant le référendum de 1995, dit-elle. «J'ai voté oui, parce que d'où je viens, on n'avait pas le droit de dire non.» Et vlan pour le vote ethnique. De toute façon, la seule minorité à laquelle elle dit appartenir est celle des «vaginales»....

Sans jamais être vulgaire, mais en osant tout le temps, s'alliant à la fois les hommes et les femmes, elle parle de sexe, de nos différences culturelles et surtout de nos ressemblances, notamment ce rire qui nous fait jouir en commun. Ce qu'elle fait est important, plus signifiant que les humoristes centrés sur leur mousse de nombril - Le nombril de Nabila, au moins, il danse.

Elle met le doigt sur plusieurs bobos, chez les immigrants comme chez les «de souches», et chaque fois qu'elle doute un peu, elle lance: «Qu'on me lapide si je me trompe». Elle se trompe rarement. Ce ne sont pas des pierres qu'on lui lancera, mais des fleurs.