Contrairement à Raymond Devos qui, de son vivant, était un habitué des scènes québécoises, Guy Bedos a attendu 74 ans avant de se présenter devant le public d'ici. Qu'à cela ne tienne, en ville depuis quelques jours en vue de ses deux prestations au festival Montréal en lumière, le satiriste politique rattrape le temps perdu en faisant le tour des médias et en charmant tous ceux qui aiment détester Sarkozy. Portrait d'un humoriste humaniste, digne représentant de la gauche... couscous.

Il y a des gens qui ne vieillissent pas ou si peu qu'il suffit d'engager la conversation avec eux pour oublier l'âge de leurs artères et ne voir que la jeunesse de leur coeur. L'acteur, humoriste et satiriste français Guy Bedos est de ceux-là. À la première poignée de main, alors qu'il plisse les yeux et esquisse un sourire poli, on se demande si on a affaire à un vieux monsieur aux cheveux blancs qui ne se souvient pas de tout et qui va se mettre à radoter. Mais dès qu'il ouvre la bouche, le vieux monsieur s'évapore comme par magie, chassé par un jeune homme fringant et encore plein d'indignation, qui parle d'abondance et sans jamais trop se prendre au sérieux. Comme le dit si bien son attachée de presse, Michelle Latraverse: «Avec Guy, on est assuré de toujours rire et se marrer. Il est plus jeune que bien des types qui ont 30 ans de moins que lui.»

 

Pourtant, le monsieur n'est pas né de la dernière pluie. Depuis ses débuts au cinéma français en 1954, ce Français né en Algérie, marié trois fois, père de quatre enfants et qui se définit comme un acteur égaré au music-hall, a tourné dans une trentaine de films signés Marc Allégret, Marcel Carné, Jean Renoir, Claude Berri, Yves Robert et j'en passe. Il a joué au théâtre et fait de la scène, d'abord en se cachant derrière des personnages, avant de faire un jour le grand saut et de parler au je, en hommage à son émule, le stand-up plutôt dramatique Lenny Bruce. Il a aussi écrit une douzaine de livres dont un tout premier roman, Le jour et l'heure, qui vient de paraître aux éditions Stock et qui raconte l'histoire d'un cinéaste déçu et désenchanté par le monde et qui a décidé de mettre fin à ses jours, mais à l'heure et à la date de son choix. Et bien que ce personnage fictif et son auteur aient plusieurs choses en commun, le suicide n'en fait pas partie, affirme Bedos, avant d'ajouter qu'il n'est vraiment pas pressé d'en finir avec la vie. Tout le contraire.

Amis de Sarkozy, s'abstenir

Il y a plus de 15 ans, Bedos était venu à Montréal pour promouvoir une série de spectacles qu'il devait donner quelques mois plus tard. Mais le moment venu, pour une raison dont il ne se souvient plus, il a été obligé d'annuler. Évidemment, il aurait pu revenir l'année suivante, mais pour ce faire, il aurait sans doute fallu qu'il accepte de brasser des affaires avec Gilbert Rozon, le grand manitou du rire au Québec. Or, manque de chance, Guy Bedos n'avait pas envie de faire partie de l'écurie de Juste pour rire et pas envie non plus de cultiver l'amitié de Rozon, à qui il ne reproche rien sinon peut-être de collectionner les humoristes et leurs produits dérivés. Sa tribu à lui, c'est la tribu Latraverse, dont il connaît tous les membres depuis des lustres: Guy Latraverse, son vieux pote, ses soeurs Louise et, bien entendu, Michelle Latraverse, son attachée de presse et voisine à Paris.

Depuis quelques mois d'ailleurs, c'est elle qui l'alimente en actualités québécoises et lui envoie chaque semaine des articles sur ce qui se passe chez nous afin qu'en se pointant sur la scène du Théâtre Maisonneuve jeudi prochain, Bedos n'ait pas l'air d'arriver de la planète Mars. Amis de Nicolas Sarkozy, s'abstenir. Car ici comme en France, Bedos ne se gêne jamais pour «varloper» le président qu'il a déjà qualifié de nain, de menteur, d'agité du bocal et de teckel à poil dur.

Mais ce matin-là au deuxième sous-sol de la tour de Radio-Canada, Bedos nuance ses propos et fait la preuve qu'il n'est pas un adepte du sectarisme et de la détestation des autres...

«J'habitais Neuilly-sur-Seine quand Sarko était le maire et bien franchement, je ne peux pas dire que ce type était antipathique. Non, pas du tout. Le problème, c'est qu'il aurait dû rester maire. Président de la République, c'est une erreur de casting. On n'aurait jamais dû lui donner le rôle. Moi qui ai connu au moins cinq présidents, je peux vous dire que Sarko, c'est le pire de tous. Non seulement il menace la liberté d'expression, mais il se comporte comme s'il avait acheté la France et que c'était sa propriété. Le résultat, c'est qu'il règne une ambiance terrible d'injustice en France en ce moment. Ça pue.»

Bedos n'était pas à l'Élysée le jour où Jean Charest a reçu la Légion d'honneur, et les souverainistes québécois, une pluie d'injures de la bouche du président. Mais les propos de Sarkozy ne l'ont pas surpris. «L'intention de Sarko est simple: il veut tuer de Gaulle. Tout ce que le général a fait, il cherche à le défaire. Son séjour de deux heures chez vous avant d'aller faire la bise à Bush, l'été dernier, et puis ses propos contre les souverainistes, c'est sa façon à lui de tuer le «Vive le Québec libre» du général.»

Contre la censure

En même temps qu'il dénonce les paroles de son président, Bedos soutient qu'il est pour la liberté d'expression absolue et contre toute forme de censure. C'est d'ailleurs ce qui l'a conduit à défendre son ami, le caricaturiste Siné, congédié par le journal satirique Charlie Hebdo à la suite d'une chronique où il ironisait au sujet de l'éventuelle conversion au judaïsme de Jean Sarkozy, qui a épousé l'héritière des magasins Darty. Dans une lettre ouverte à l'éditeur de Charlie Hedbo, Bedos n'y est pas allé de main morte, écrivant: «Tu es à Charlie Hedbo ce que la France est à Sarkozy, à la différence que lui a été élu. Antisémite, Siné? As-tu lu David Grossman et Amos Oz, écrivains israéliens qui luttent sans relâche contre l'actuel pouvoir israélien? Moi, qui ai dit sur la scène de l'Olympia que je ne confondrai jamais Ariel Sharon avec Anne Frank et Primo Levi, suis-je pour autant un néo-nazi qui s'ignore?»

L'affaire ne s'est pas arrêtée avec le congédiement de Siné. L'automne dernier, une plainte pour incitation à la haine raciale a été déposée contre Siné en cour. À la fin janvier, Bedos est allé témoigner à la défense de son ami contre un autre de ses amis: Bernard-Henri Lévy.

«Les journaux ont fait grand cas de notre opposition au procès de Siné, raconte-t-il, mais c'était une opposition de principe. On n'est pas en guerre. On ne va pas s'entretuer. On n'est tout simplement pas d'accord sur cette histoire d'antisémitisme. Moi, personnellement, je trouve qu'on a tort de chercher des antisémites partout et surtout chez un homme comme Siné, qui est un athée, pas un antisémite. Cette histoire, dans le fond, confirme une de mes maximes préférées, à savoir que l'humour est une langue étrangère. Certains ont besoin de sous-titres pour la comprendre.»

Malgré leurs différends, Bedos affirme que son amitié avec BHL est intacte. Le lendemain du procès, il envoyait d'ailleurs un bouquet de fleurs à Justine Lévy, la fille de BHL, qui venait d'accoucher.

Il en va tout autrement avec Dieudonné, qu'il a autrefois défendu, notamment quand l'humoriste s'était présenté aux élections contre le Front national. «Depuis qu'il a demandé à Le Pen d'être le parrain d'un de ses fils, il n'a pas aidé sa cause. Au départ, il a fait une mauvaise blague, ce qui est à la portée de n'importe quel humoriste. Il a été stigmatisé très vite, trop en fait. Il a pété un câble parce que les gens en face de lui étaient redoutables. Il a fini par s'isoler et par se lancer dans une dynamique d'échec assez triste. Malheureusement pour lui, n'est pas Lenny Bruce qui veut.»

Un vieux chat

Guy Bedos, on l'aura deviné, est avant tout un humaniste, qui n'attaque pas les faibles et ne tape pas sur ceux qui sont tombés. Son fiel, il le réserve à Sakozy et ses amis. Quant à son admiration, il l'accorde d'emblée ces jours-ci à Barack Obama.

«Moi, je suis un vieux chat. J'observe les gens comme ça, du coin de l'oeil. Hier, je regardais Obama à la télé, sans le son puisque je ne parle pas anglais. Et sur son visage, je lisais qu'il n'avait pas tué le petit garçon en lui. Il reste sur son visage des traces de loyauté enfantine. Quand je regarde Sarko, ce que je vois de la cruauté enfantine. Sarko, c'est le sale gosse et bien honnêtement, ce n'est pas intéressant pour personne, un type comme lui.»

Encore idéaliste à 74 ans, Bedos croit qu'il est temps de relancer la mode de la solidarité et de la sincérité pour que les valeurs boursières soient remplacées par des valeurs humaines. Il rêve sans doute en couleur, mais qui pourrait l'en blâmer?

Guy Bedos, en spectacle les 19 et 20 février à la salle Maisonneuve de la Place des Arts, dans le cadre du festival Montréal en lumière.