C'était avant le déluge. Avant Harvey Weinstein, avant #metoo, avant #balancetonporc, avant qu'une femme de chambre du nom de Nafissatou Diallo se fasse agresser dans la suite 2806 du Sofitel de New York par un futur ex-candidat à la présidence française connu sous le célèbre sigle DSK. C'était même avant l'enquête du Fonds monétaire international sur le comportement inapproprié dudit futur ex-candidat à l'endroit d'une économiste hongroise.

Autrement dit, c'était il y a longtemps, à une autre époque, dans une autre galaxie. Thierry Ardisson recevait encore chaque semaine au 93, Faubourg Saint-Honoré, à la lumière des chandeliers et sous les feux des caméras, le Tout-Paris. Or, ce soir-là de 2007 chez Ardisson, la blonde journaliste et auteure Tristane Banon fit un récit étonnant : celui de son agression sexuelle par un chimpanzé en rut bien connu de tous, mais dont le nom qu'elle prononça - Dominique Strauss-Kahn - fut bipé au montage. En écoutant les détails de l'agression - on s'est battus violemment, il m'a dégrafé mon soutien-gorge, a ouvert mon jeans -, les convives ne savaient pas s'ils devaient rire ou plaindre la jolie blonde.

Je le répète: c'était en 2007, une décennie complète avant #metoo. Sans se douter du précédent historique, Tristane Banon venait de river le premier clou d'un grand cercueil où seraient engloutis bien des émules de DSK.

Quatre ans plus tard, alors que les charges contre DSK étaient abandonnées par un juge américain, Tristane Banon a déposé une plainte contre lui pour tentative de viol. La plainte a été classée sans suite, mais le parquet parisien a toutefois reconnu que DSK était bel et bien un agresseur sexuel.

«Je suis la seule tache dans le CV de DSK », m'informe, avec un brin de fierté, Tristane Banon dans un café du Vieux-Montréal. De passage à Montréal pour aider la fille d'une amie à s'y installer, Tristane Banon a évoqué, ce jour-là, DSK, #metoo et les grandes lignes de son nouveau roman - Prendre un papa par la main.

Lorsqu'elle a pris place en face de moi, je n'ai pu cacher mon étonnement. Parce qu'elle est petite, menue et affiche sous ses boucles blondes un air furieusement juvénile, Tristane Banon passe plus pour une gamine que pour une femme de 39 ans. L'effet s'estompe lorsqu'elle se raconte et ouvre le livre de sa vie sans rien cacher: ni sa relation houleuse avec sa mère, Anne Mansouret, une ex-élue du Parti socialiste, ni sa déception en rencontrant son père, Gabriel Banon, un homme d'affaires et consultant politique pour Arafat, qui l'a abandonnée à sa naissance, ou encore la fuite du père de sa fille de 3 ans, un joueur du Paris Saint-Germain avec lequel elle vivait et qui l'a quittée la veille de son accouchement en lui envoyant un texto.

«Un salaud, vous dites? Absolument, mais bon, c'est un ancien footballeur et ces hommes-là, on les retire très tôt du monde des adultes pour en faire des enfants millionnaires et irresponsables. Je n'étais pas la première à qui il faisait le coup.»

Deux voix

Banon a écrit Prendre un papa par la main un an et demi après la naissance de sa fille Tanya. Le roman a deux voix: celle d'une nouvelle mère anxieuse et en plein désarroi post-partum, et celle du bébé - nommé Thelma - qui décide dès son entrée dans le monde de trouver un papa pour sa mère, dans une sorte d'adoption inversée. «J'ai voulu écrire ce livre pour rendre compte d'un phénomène très contemporain d'hommes qui n'assument pas leurs responsabilités et qui, à l'image de mon propre père, sont des lâches, en somme.»

Il ne s'agit pas pour autant d'un règlement de comptes puisque la petite Thelma trouvera un papa pour sa maman, ce qui est arrivé à Tristane Banon. Quelques mois après la naissance de sa fille, elle a fait la rencontre de Pierre Lefèvre, devenu depuis le papa officiel de Tanya et le mari de Tristane. 

«Avec ce livre, je voulais aussi donner espoir aux femmes qui se retrouvent dans la même situation tout en rendant hommage aux nouveaux papas, qui ne sont pas tous merveilleux évidemment, mais quand je vois les pères d'aujourd'hui, je me dis que les choses ont quand même bien changé.»

Élevée par une battante qui, selon elle, était plus préoccupée par sa carrière politique que par sa fille, Tristane Banon se désole de ne pas avoir eu un père bienveillant qui l'aurait «considérée comme sa petite princesse».

«À cause de ce manque, je suis bourrée de complexes. Je ne m'aime pas. Je me trouve moche, alors que j'ai une copine qui n'est pas spécialement jolie et qui fait un peu d'embonpoint, mais à cause de l'amour que son père lui a donné, elle a une force incroyable et une confiance absolue en elle-même. Moi, c'est tout le contraire.»

La pire période

Pourtant, il en fallait, de la force, pour s'attaquer au monstre sacré de la politique française qu'était DSK. Et d'autant que la mère de Tristane, membre du Parti socialiste, lui a vivement déconseillé de le faire. 

«Ma mère m'a toujours vue comme une petite chose fragile. En me disant de me taire, elle a voulu me protéger. Il ne faut pas oublier qu'en 2003, au moment de mon agression, j'avais 23 ans et DSK était tout-puissant, aimé et respecté de tous. Personne ne m'aurait crue. Ce que je reproche à ma mère, par contre, c'est de ne pas m'avoir mise en garde contre lui avant que je le rencontre pour une entrevue. Je lui en veux aussi d'avoir été rencontrer DSK dans un café, après le fait, pour essayer de se monnayer une promotion politique en échange de mon silence, ce qu'elle n'a finalement jamais obtenu.»

Tristane Banon remercie sa mère pour une chose: lui avoir appris à ne jamais accepter une injustice. C'est d'ailleurs ce qui l'a motivée à porter plainte en 2011, alors que DSK venait d'échapper aux États-Unis à une accusation criminelle. Une fois sa plainte pour tentative de viol déposée, Banon raconte avoir vécu la pire période de sa vie, pourchassée par les journalistes, traitée de menteuse et d'opportuniste par les uns, boudée par les médias qui autrefois l'engageaient. 

«Mais je n'ai aucun regret parce que si personne ne dénonce des types comme DSK, on n'avancera jamais.»

Sept ans après le geste qui l'a définie pour longtemps, Tristane Banon se réjouit de l'ampleur prise par #metoo, un mouvement qui l'épate parce qu'il est basé sur la solidarité féminine et qu'elle préfère à #balancetonporc qui, selon elle, ouvre la porte à des dérives de vengeance avec ses délations anonymes sur le Net. «La justice, ça ne passe pas par l'internet», laisse-t-elle tomber.

Quant à DSK qu'elle traite toujours de chimpanzé en rut, Tristane Banon ne l'a plus jamais revu. Elle sait cependant qu'il vit peinard dans un somptueux riad à Marrakech avec sa nouvelle femme, Myriam L'Aouffir, une ancienne cadre de France Télévisions. Elle sait aussi qu'il fait beaucoup d'argent comme consultant en Afrique, y compris au Sénégal, le pays de Naffisatou Diallo, preuve que si la justice triomphe parfois, l'injustice triomphe plus souvent. 

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Prendre un papa par la main. Tristane Banon. Robert Laffont. 228 pages.

Image fournie par Robert Laffont

Prendre un papa par la main