Dans un livre qui fait du bien à lire, Émilie Perreault raconte l'histoire de «gens ordinaires» qui ont été profondément touchés par une oeuvre artistique. Qu'il s'agisse d'un tableau, d'une chanson, d'un livre ou d'un monologue, la rencontre a eu lieu à un moment crucial de leur vie. La chroniqueuse culturelle de l'émission Puisqu'il faut se lever leur donne la parole, ainsi qu'aux artistes derrière chaque oeuvre. Un livre original qui parle de culture autrement.

Comment est née l'idée de faire ce livre?

Ça faisait un bout de temps que j'avais en tête des confidences d'artistes qui me racontaient des histoires que je trouvais troublantes. Une qui me vient en tête est celle de Marc Séguin, pas celle que je raconte dans le livre, mais une autre. Un jour, il est arrivé troublé à une entrevue. Juste avant de me rejoindre, il avait eu une rencontre où on lui avait demandé de dessiner quelque chose pour cacher les blessures sur les bras d'un homme atteint d'un cancer. C'était une demande de sa famille. Cette histoire m'avait frappée parce que c'était une demande tellement intense.

Puis, les membres d'Alfa Rococo m'ont raconté qu'un jeune homme leur avait confié que leur chanson Jours de pluie l'avait empêché de se suicider. C'est donc parti de là.

Tu racontes dans le livre que tu as toi-même été touchée par une oeuvre qui a eu un impact important dans ta vie. De quoi s'agissait-il?

Quand j'avais 16 ans, je m'étais abonnée au centre culturel de Joliette avec mes amis. Parmi les pièces de théâtre au programme, il y avait Variations énigmatiques d'Éric-Emmanuel Schmitt, avec Guy Nadon et Michel Rivard. Je ne me souviens pas pourquoi on avait choisi cette pièce; je ne connaissais même pas l'auteur. Mais ç'a été une illumination pour moi. Pas parce que je me suis vue jouer un jour au théâtre, mais parce que je me suis dit: «Wow, je peux ressentir ça au théâtre.» C'est ce qui m'a incitée à faire le travail que je fais aujourd'hui.

Est-ce que les gens ont accepté facilement de se confier à toi?

Oui, il y avait une grande ouverture. J'ai vite compris qu'ils étaient reconnaissants et souhaitaient partager quelque chose de positif parmi tout ce qui l'était moins dans leur vie.

Je pense au père de famille de Saint-Jérôme qui a oublié son enfant dans la voiture. J'avais entendu dire qu'il souhaitait rencontrer Biz, qui a écrit Naufrage. J'en ai parlé à ma collègue Monic Néron qui m'a mise en contact avec lui. Il m'a répondu tout de suite:  Oui, j'ai envie de lire le livre, je ne l'ai pas encore lu.» Le drame avait eu lieu quatre mois plus tôt, je ne me sentais pas bien. Je lui ai demandé s'il était certain, j'avais peur de briser son deuil. Il m'a rappelée trois jours plus tard. Il avait lu le livre. Et ça lui avait fait du bien. «C'est tout ce qui ne m'est pas arrivé et je réalise que ma situation aurait pu être pire...»

C'est l'effet qu'une oeuvre peut avoir sur quelqu'un.

Il y a une histoire que tu préfères dans le livre?

J'étais très contente d'avoir André Sauvé, je trouve qu'il fait beaucoup pour les gens qui souffrent d'anxiété, mais qui n'en parlent jamais. En voyant son spectacle, ça m'a permis de mieux comprendre les gens anxieux. Et j'étais contente d'avoir une histoire lumineuse d'accouchement. Sinon, une des pierres angulaires du livre est l'histoire d'Annick, une maman qui a perdu son mari alors qu'elle était enceinte de sa fille et qui a été transformée par une toile de Marc Séguin. Elle aurait pu choisir de ne pas me parler, elle est ailleurs dans sa vie aujourd'hui, mais elle l'a fait avec beaucoup de générosité. C'est ce que j'ai préféré dans le livre, rencontrer tous ces gens. Je ne suis pas une artiste, je m'identifie davantage au spectateur et je trouve ça chouette de mettre tous ces gens en valeur. C'est eux qui font vivre la culture, qui se déplacent, qui vont voir les oeuvres, les spectacles. Mais la caméra est toujours de l'autre côté.

Il faut parler de la mise en page de ton livre, qui est à la fois sobre et très originale. C'est ton choix?

Je suis contente que tu en parles, car le travail de design revient entièrement à Catherine d'Amours et son équipe, au studio Nouvelle Administration. Ils ont mis en scène mes histoires, ils les ont animées avec sensibilité, avec des illustrations un peu naïves. C'est pour ça que j'ai choisi l'éditeur Cardinal. Ce livre aurait pu être sensationnaliste, voyeur, larmoyant, mais c'est un livre sobre et intime.

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Faire oeuvre utile - Quand l'art répare des vies. Émilie Perreault. Cardinal. 240 pages.