Historien médiéviste, spécialiste de la symbolique des couleurs, Michel Pastoureau était la semaine dernière l'invité du festival Metropolis bleu où il était venu parler de rouge et de noir... Entretien avec un personnage coloré.

On lui avait concocté un véritable horaire de rock star: entrevues, conférences, visites de librairies... Il s'est prêté au jeu avec grâce et enthousiasme. Il faut dire que Michel Pastoureau n'est pas seulement un érudit, c'est aussi un être passionné qui transmet son savoir avec un plaisir évident. Fraîchement retraité de l'École pratique des hautes études où il était titulaire de la Chaire d'histoire de la symbolique occidentale, il peut vous entretenir de jaune, de vert et de violet pendant des heures.

Jeudi après-midi, dans une petite chapelle de l'oratoire Saint-Joseph, devant un auditoire qui buvait ses paroles, M. Pastoureau était venu commenter une copie d'un tableau de Barocci tiré de la collection du musée de l'institution religieuse. Une seule question de la conservatrice Chantal Turbide et le voilà parti pour 30 minutes...

Blanc comme la mort

Auteur de plusieurs ouvrages consacrés au bleu, au rouge, au noir ou au vert, l'historien est hypersensible aux couleurs depuis son plus jeune âge. Nous lui avons demandé d'où venait, dans l'histoire, ce désir de donner un sens aux couleurs qui nous entourent. «Il faut remonter au début ou au milieu du Moyen-Âge, répond-il. Chez les Grecs et les Romains, on n'a pas l'idée que la couleur peut être séparée de son support et devenir quelque chose d'abstrait. C'est la théologie qui construit l'abstraction de la couleur et encore là, c'est propre à l'Occident, car il y a pas mal de sociétés qui, encore aujourd'hui, ne savent pas abstraire la couleur.

«Chaque époque ajoute sa couche de signification aux époques précédentes, sans les éliminer, poursuit-il. À la fin, les couleurs finissent par dire tout et n'importe quoi, ce qui explique pourquoi il y a de si mauvais livres qui parlent de la symbolique des couleurs du genre: Le secret des couleurs révélé ou Qui êtes-vous par la couleur... [rires] Une littérature consternante, mais qui connaît un grand succès en librairie.»

Notre rapport à la couleur est socialement construit, rappelle Michel Pastoureau, qui ajoute que le sens qu'on attribue au bleu, au vert ou au rouge vient d'abord de l'observation de la nature, puis des qualités matérielles de la couleur. Ces connaissances sont recherchées dans les domaines de la mode, de la publicité, mais également en politique internationale ou un mauvais choix de couleur peut quasiment créer un incident diplomatique. 

«Dans d'autres cultures que la nôtre, le blanc est associé à la mort, note l'historien qui est parfois consulté par de grands couturiers français. Chez les musulmans, le vert est sacré, c'est la couleur du religieux. Ne vous avisez pas de faire marcher un leader musulman très pieux sur un tapis vert, par exemple. Ce serait catastrophique.»

Des couleurs plus populaires que d'autres

Bon an, mal an, des sondages d'opinion confirment que la couleur préférée de la majorité des Français est le bleu. L'historien, lui, dit préférer le vert. Par contre, le rouge, même s'il est en perte de popularité, demeure la couleur par excellence.

«Cela s'explique entre autres par le fait que dès la préhistoire, l'homme a maîtrisé le rouge en peinture et en teinture. Le rouge est une couleur qui a gardé sa primauté même si elle est en recul dans nos vies quotidiennes.»

Y a-t-il, à son avis, une couleur sous-estimée? «Dans nos sociétés occidentales, le jaune occupe une place qui est vraiment trop modeste, affirme-t-il. Dans notre vie quotidienne, nos vêtements, dans le spectacle de la rue... C'est une couleur qui a mauvaise réputation, on l'associe depuis longtemps au mensonge, à la trahison, à la fausseté. Ça vient probablement du fait qu'il y a un deuxième jaune qui prend sur lui tous les bons aspects de la couleur. C'est l'or. Le vrai jaune n'a plus que les mauvais aspects, le pauvre. Si j'étais un créateur, j'investirais donc dans le jaune, car je trouve que c'est injuste qu'il y en ait si peu.»

Quand on lui demande quelle couleur il attribue à notre époque, Michel Pastoureau répond sans hésiter: «Notre époque est grise, lance-t-il. Il y a deux sortes de gris: un gris valorisant, que j'aime bien, et un gris inquiétant. Ce n'est pas très original de dire que l'état du monde et de la société est très inquiétant. Et comme je suis un vieux monsieur et que j'ai connu des décennies qui étaient plus paisibles, alors je choisirais le gris inquiétant pour décrire l'époque dans laquelle nous vivons.»

Michel Pastoureau a publié une quarantaine d'ouvrages, dont quatre consacrés aux couleurs bleu, noir, rouge et vert, tous parus aux éditions du Seuil. Le prochain ouvrage portera sur le jaune.