Il y a trois ans, l'auteur Jean Désy, sa compagne, la documentariste Isabelle Duval, et leur ami prêtre Pierre-Olivier Tremblay embarquaient dans leur canot pour refaire le trajet emprunté par le père Laure en 1730 jusqu'à l'Antre de marbre, lieu chamanique situé à 200 kilomètres au nord de Chibougamau.

Ce pèlerinage leur a permis de réfléchir sur le rapport au sacré et au territoire, réflexion qui a débouché sur un livre intitulé La route sacrée. Nous en avons parlé avec le médecin-poète-coureur des bois et formidable raconteur qu'est Jean Désy, à partir des photos prises par Isabelle Duval, qui a cosigné le livre avec lui.

L'Antre de marbre

L'Antre de marbre, c'est une grotte formée à même la paroi d'une petite montagne du Moyen-Nord, la Colline blanche. Jean Désy et Isabelle Duval ont été mis sur la piste de ce lieu connu des autochtones depuis des siècles par Louis-Edmond Hamelin, grand spécialiste du Nord québécois, qui l'a redécouvert pendant les années 40. «Ce que je trouve intéressant avec La route sacrée, c'est de se reconnecter avec un univers qui est le nôtre, dit Jean Désy. Les gens s'en vont au fin fond de l'Amazonie faire des voyages chamaniques, mais on peut trouver la même chose dans notre arrière-pays! Cette grotte n'a rien d'impressionnant, ce n'est pas la Sagrada Família: c'est l'environnement qui est sacré.»

Le sous-bois

«J'ai l'impression d'entrer dans un nouveau monde, écrit Isabelle Duval dans La route sacrée à propos de son arrivée à la Colline blanche. La lumière est féerique dans les sous-bois, sur les lichens, sur la pierre : toute la Colline est dorée.» Jean Désy confirme cette sensation qu'ils ont eue d'arriver dans un lieu sauvage et quasi virginal. «Il était connu depuis des milliers d'années, mais a été peu visité. Je le dis souvent : on vit dans une province où il y a probablement encore des endroits où les humains n'ont jamais mis les pieds. Du haut de la Colline, qui n'est pas si haute, on a une vue de tout le pays environnant, de la forêt à peu près vierge: je ne pense pas qu'elle ait déjà été coupée. L'aspect sauvage du lieu est important.»

Église de la Mission de Sainte-Croix-de-Tadoussac

«J'ai dû passer 500 fois par Tadoussac dans ma vie, et c'était la première fois que je voyais cette église. C'est Pierre-Olivier qui me l'a fait découvrir», dit Jean Désy, qui estime que La route sacrée est son livre le plus important. Il en a publié plus de 40. «C'est la première fois que j'ose me commettre dans ma vision des choses du sacré. Peu de livres osent associer des éléments religieux liant notre passé et le moment présent. Mais on le fait avec délicatesse, avec comme figure centrale notre ami oblat Pierre-Olivier. J'ai fait ce livre pour mes étudiants qui ont 20 ans, qui sont comme dans un no man's land vis-à-vis de la spiritualité, pour leur proposer un ancrage religieux.»

Rivière Témiscamie

La Témiscamie est probablement la plus belle rivière du Québec, dit Jean Désy, qui ajoute que «le vrai trésor du Québec, ce sont ses lacs et ses rivières». Il a fallu trois jours de canot aux trois compagnons pour se rendre jusqu'à la Colline blanche en remontant la rivière. «Le Québec a été habité par voie d'eau pendant des milliers d'années, et il s'est bâti comme ça, il ne faut pas l'oublier. Des canots chargés de 3000 livres de fourrure partaient de la baie James jusqu'à Tadoussac! On a fait un peu, minimalement, ce que faisaient les coureurs des bois et les autochtones. Il y avait donc quelque chose de symbolique de se charger ainsi pour remonter la Témiscamie.»

Lever du soleil

Pas très haute, avec son dénivelé de 150 mètres, la Colline blanche domine malgré tout le plateau situé aux portes des monts Otish. Un paysage aride, il faut le dire, et qui ne se laisse pas aimer facilement. «J'aime bien quand on me dit ça, lance Jean Désy. Grâce à Isabelle et à son esprit particulier d'artiste, j'ai commencé à découvrir la beauté solennelle de chacune des épinettes noires. Non, ce n'est pas grandiose comme les forêts d'arbres-fougères de Nouvelle-Zélande, ou comme les séquoias de 2500 ans de l'Ouest américain. Mais lorsqu'on s'y arrête et qu'on accepte de plonger dans ce pays qui est le nôtre, il y a des trésors. Cependant, les beautés qu'on peut ressentir dans le Moyen-Nord demandent une certaine forme d'introspection.»

La messe

Le 26 août 2014, Pierre-Olivier Tremblay a célébré une messe dans l'Antre de marbre, comme l'avait fait le père Laure en 1730. Pour Jean Désy, il est clair que la présence du prêtre leur aura permis d'approfondir leur réflexion théologique et spirituelle. Mais cette photo est aussi un peu baveuse, ajoute-t-il. «Il est là dans le fond d'une grotte avec ses vieilles bottes, son étole et son charango. Ce n'est pas dans l'air du temps de montrer un prêtre hyper cool et hyper sain. Mais il y a quelque chose d'énervant à toujours identifier le prêtre au pédophile, au débile profond qui a cassé le Québec.»

Lac Mistassini

Les trois voyageurs sont passés par le lac Mistassini, le plus grand lac naturel au Québec. «Le lac est magique, lance Jean Désy. Pierre-Olivier s'était juré d'y pogner au moins un brochet, mais finalement, il en a pris un de 15 centimètres, minuscule...» Pour lui, cette photo témoigne de l'harmonie qui a régné dans ce voyage. «On a eu du plaisir tout le temps, c'était festif à cause de la communion qui régnait. Il faut dire qu'on a eu du beau temps exceptionnel, et en plus, il n'y avait pas de mouches! Ce livre nous rappelle à quel point on a été chanceux de vivre ça, mais en même temps, c'est sans prétention: tout le monde a vécu des voyages d'harmonie à un moment dans sa vie.»

La Colline blanche

En voyant apparaître la Colline blanche du canot, Jean Désy dit avoir ressenti la même excitation que celle qu'a dû vivre le père Laure il y a plus de 250 ans. «Nous n'avions pas vraiment d'objectif quand on a fait l'expédition. Mais on a réfléchi en route, puis on a mis trois ans à écrire le livre. Et on s'est rendu compte qu'on pouvait en tirer quelque chose de pédagogique. Il y a comme un sentiment d'urgence à reprendre contact avec la nature et avec les aspects spiritualistes de l'arrière-pays. En ce moment, on dirait que tout est désacralisé, il y a une profanation profonde qui se passe. Alors je pense que ça sonne une cloche de proposer comme voie le sacré des choses, chez nous, en se promenant en canot en plus. Il faut de temps en temps aller faire du canot!»

_________________________________________________________________________________

La route sacrée. Jean Désy et Isabelle Duval. XYZ. 398 pages.