Chaque nouveau roman d'Olivier Adam fait partie des valeurs sûres de la rentrée littéraire. Peine perdue, puissant roman choral qui est aussi le portrait pessimiste d'une société française qui se fissure, ne déçoit pas les attentes et se démarque par son parti pris pour ceux qui subissent les conséquences de la crise.

Maître du spleen, Olivier Adam s'est toujours intéressé à l'intime et aux liens familiaux - couples, frères et soeurs, parents et enfants. Cette fascination y est décuplée dans Peine perdue, puisque rien de moins que 22 personnages se retrouvent sous sa loupe, dans une station balnéaire de la Côte d'Azur, une fois que les touristes et les riches propriétaires l'ont désertée.

Olivier Adam quitte donc les paysages du nord de la France pour ceux du sud: c'est en choisissant un lieu qu'il trouve son histoire. «Parce qu'à ce moment je tiens une atmosphère, une lumière, un son de phrase, une vibration, une énergie, et des gens. Il y a toujours une sociologie particulière à un endroit.»

Il a choisi la Côte d'Azur pour sa lumière sèche, son atmosphère politiquement et économiquement trouble et pour l'aspect mélancolique des stations balnéaires hors saison, «comme si la ville flottait dans ses vêtements trop grands pour elle». N'y restent que les résidants, ceux qui y vivent: ce sont eux les vedettes de Peine perdue, femmes de ménage, employés d'hôpitaux, gardiens de sécurité, hommes d'entretien, flics sans envergure et petits mafieux.

La vie et les blessures des gens ordinaires deviennent ainsi le symbole de la crise sociale qui secoue la France. Les personnages, pour la plupart dans la vingtaine et la jeune trentaine, cumulent les petits boulots et les combines louches. Leur futur est bouché, comme celui de cette jeunesse française - et même européenne - dont les perspectives d'avenir sont nulles.

«On parle beaucoup de la crise en France, mais toujours en termes macroéconomiques, déplore Olivier Adam. Finalement, on parle peu, politiquement et artistiquement, de cette majorité silencieuse des classes populaires et moyennes qui se prend la crise de plein fouet, et aussi de cette nouvelle génération qui, pour la première fois, doute qu'elle vivra plutôt mieux que ses parents, pour qui l'ascension sociale n'est plus garantie.»

C'est un moment de désarroi pour ces jeunes, et aussi pour leurs parents, estime-t-il. Et cette situation l'inquiète, d'autant plus qu'il en résulte un repli identitaire dangereux, une désaffection devant la chose politique, un retour de la droite, et un racisme et une homophobie ordinaires. «Je comprends ce sentiment d'abandon, et ce désir de trouver un bouc émissaire. C'est humain. Mais ils se trompent de colère et d'ennemi.»

Société «fissurée»

Olivier Adam a ainsi choisi de montrer cette société «fissurée, fragmentée», et en délaissant le quasi-huis clos pour parler d'une communauté, il peut en présenter toutes les facettes. Le tout en suivant trois trames principales et en arrivant à clore toutes les histoires sans laisser de trous: une tempête qui vient balayer la côte - «C'est toujours dans les moments de grande bascule que se révèle le plus cru de l'humanité de chacun» -, le parcours de l'équipe de foot locale qui se bat pour passer en première division, et une question: qui a laissé Antoine, petit bum et vedette de l'équipe de foot, blessé et à moitié mort devant l'hôpital?

«Je voulais d'emblée m'aventurer sur les territoires limites du roman noir, en essayant d'en expurger les conventions et les codes. Je voulais y réintroduire de l'humain, du psychologique, même de la métaphysique personnelle, éléments qui sont en général absents de ce type de romans plutôt virils.»

Alors oui, on se fracasse le crâne à coups de battes de baseball dans Peine perdue, mais Olivier Adam voulait scruter ces petites magouilles pour comprendre comment «la cupidité des uns peut broyer la vie des autres».

«J'aboutis à une métaphore de la tragédie de notre temps, tout en explorant les thèmes qui me sont chers.» Comme celui de la cellule familiale, qui revient d'un livre à l'autre. Dans Peine perdue, les ados sont en détresse, les parents refusent de voir leurs enfants vieillir, les jeunes adultes ont peine à sortir de l'enfance, le fossé entre les générations est impossible à combler.

Pour l'auteur, la famille est surtout un microcosme de la société. «Et puis la manière dont on a été aimé ou non, dont nos parents se sont comportés et dont on se comporte comme parents, ce sont des choses dont on ne se sort jamais.»

Olivier Adam espère que son roman trouvera son chemin, conscient que les gens n'ont pas beaucoup d'argent et que les «bons lecteurs» achèteront trois ou quatre livres seulement lors de cette rentrée. «J'espère que le mien en fera partie.» Pour lui, un livre existe lorsqu'un lecteur a été «touché et altéré, même légèrement». Et il continuera, malgré les vents contraires, à parler des perdants et des laissés pour compte.

«Certains me le reprochent, mais à chacun son boulot. À la télé, tout le monde veut nous divertir. Mais il faut aussi des gens pour mettre le nez de manière crue et lucide dans les problèmes de l'époque.» Lui s'est «auto-infligé comme mission» de parler de cette «France massive et silencieuse, qui en est le choeur discret», et s'étonne que la littérature parle si peu de la crise actuelle.

«La tendance est plus au biopic. Je ne sens pas, comme lecteur, cette réalité quotidienne, prégnante. La mode n'est pas au roman social ou engagé: de toute façon, la mode n'est pas à gauche, la gauche n'est même plus à gauche.»

Il cite l'ex-ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, qui demandait, après avoir démissionné de son poste, fin août: «Doit-on s'excuser d'être à gauche? Qui portera la voix des démunis si on ne le fait pas?»

«Je me pose la même question pour le roman, dit Olivier Adam. Si la littérature ne fait pas ce récit, qui le fera?»

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Peine perdue, Olivier Adam, Flammarion, 414 pages.