Dany Laferrière, qui participera à de nombreuses activités en fin de semaine au Salon du livre de Québec, a lancé mercredi une version adaptée pour les enfants de L'odeur du café ainsi que l'album Le baiser mauve de Vava. Deux livres qui vont puiser directement dans l'enfance du nouveau membre de l'Académie française, avec qui nous avons parlé racines et poésie.

Dany Laferrière est arrivé à l'heure à notre rendez-vous chez Monet, la librairie de Cartierville où il aime flâner, discuter, bouquiner et donner des entrevues. Entre une tournée en Chine, un passage au Salon du livre de Paris et un départ pour la Suède, le nouveau membre de l'Académie française était à Montréal il y a une dizaine de jours, en cette fin d'hiver qui n'en finissait plus.

En quelques jours, il avait vu le spectacle de Louise Lecavalier, assisté au lancement du roman de son amie Perrine Leblanc et s'était présenté à la remise du grand prix du Conseil des arts de Montréal - où, assis à la table d'honneur, il a reçu des applaudissements nourris de la part du milieu des arts réuni au grand complet.

Dany Laferrière a senti cet accueil plus que chaleureux. «C'est comme si les gens avaient dit: il est des nôtres et il est toujours là. Il y a eu un flottement après ma nomination en décembre, peut-être qu'ils ont pensé que j'allais partir. Mais c'est eux qui avaient cette inquiétude, pas moi!»

Car il l'a dit et le répète: c'est à Montréal qu'il est né écrivain, et tout ce qui compte est d'«avoir écrit ces livres et vécu avec ces gens» qui ont été les premiers à le lire et qui l'ont vu grandir.

Douce enfance

Mercredi, deux livres jeunesse de Dany Laferrière ont été lancés: l'album Le baiser mauve de Vava, fin de la trilogie qui comprend Je suis fou de Vava (prix du Gouverneur général en 2006) et La fête des morts, et une version illustrée de L'odeur du café, qui fait partie d'une série de classiques adaptés pour les jeunes lecteurs comprenant entre autres L'odyssée, Don Quichotte et Maria Chapdeleine.

Il était tout à fait logique que ce livre dans lequel un jeune garçon, Vieux Os, raconte l'été de ses 10 ans à petits coups de pinceaux soit un jour offert aux enfants.

«Mine de rien, c'est rare qu'on puisse voir une enfance aussi douce, nimbée de grâce, d'affection et de tendresse», dit Dany Laferrière, qui affirme avoir voulu faire du 88 de la rue Lamarre, à Petit-Goâve, «une adresse du bonheur de l'enfance».

«Il y a des endroits où on aime se retrouver, où on se sent protégé à l'intérieur même de l'enfance. Tous les enfants peuvent aller se réfugier au 88 de la rue Lamarre quand ils ont de la peine», dit-il.

En feuilletant le livre, Dany Laferrière a ainsi l'impression de redécouvrir un univers, lié à la mythologie même de l'enfance. Il a lui-même coupé dans son roman, «sans états d'âme». «C'est pour ça que j'ai refait plusieurs de mes livres. Il faut couper pour que des enfants puissent le lire? Alors je coupe. J'ai gardé des chapitres entiers, et j'en ai enlevé d'autres qui servaient davantage à développer.»

Un travail plutôt facile puisque L'odeur du café est divisé en une série de très courts tableaux - une forme qui permet au lecteur de «s'arrêter, de rêver un peu et de regarder les mouches voler».

Son essence reste donc intacte dans cette version réduite mais tout aussi charmante que le livre publié en 1991 chez VLB.

Mouvement continu

Étrange tout de même de discuter avec Dany Laferrière d'un roman sorti il y a près de 25 ans. Mais pas pour lui: tous ses livres font partie d'un même mouvement et l'habitent complètement.

Puis c'est là qu'il a appris à raconter des histoires, assis sur cette galerie à côté de sa grand-mère Da - qui est maintenant un peu notre grand-mère à tous et qu'on retrouvait encore récemment dans Le journal d'un écrivain en pyjama.

«Je suis toujours au présent de l'indicatif. C'est le même monde qui se déroule et L'odeur du café, c'est la fondation de cette cafetière pleine de café ou d'encre, d'où sont sortis un peu tous mes livres.»

Il écrit toujours un peu la même chose depuis ses débuts, ajoute-t-il.

Par exemple, sur la dictature, qui est au coeur du Baiser mauve de Vava, son discours n'a jamais changé: «La dictature, c'est le Monstre qui empêche un garçon de dix ans de visiter son amoureuse qui a la fièvre», écrit-il au début de l'album.

«C'est juste qu'au lieu de faire de la théorie, je vais à l'essentiel», dit l'auteur, qui a voulu parler de «choses importantes» aux tout-petits dans cette série: l'amour dans Le baiser de Vava, la mort dans La fête des morts, la politique dans Le baiser mauve. On peut dire tout aux enfants - «Ils ont le droit!» -, tant qu'on le fait avec poésie.

«L'enfance EST la poésie. Les sentiments sont aigus, les vibrations fortes, l'instinct juste, présent et pur. Les enfants sentent tout, sans pouvoir le formuler. Alors l'adulte en moi essaie de retrouver l'époque où la poésie n'avait pas besoin d'être formulée, de la revivre et de la redonner.»

C'est parce que son enfance ne l'a jamais quitté qu'il réussit à avoir cette justesse de ton et d'émotion d'une simplicité si bouleversante.

«C'est une erreur d'essayer d'écrire comme les enfants, c'est du faux réalisme. Mais la poésie, qui consiste à regarder la réalité avec un dixième de seconde de distance, les aide à trouver leur lien avec le monde.»

Elle nous aide tous, en fait, avec une précision qui fait mouche et qui peut même susciter une certaine mélancolie. Parce qu'en parlant de son enfance, c'est de toutes les enfances qu'il parle. «Je ne sais pas comment le dire, mais s'il n'y a pas cette mélancolie chez le lecteur, alors c'est qu'il n'y a pas de poésie et que le sentiment exprimé n'est pas juste. C'est ça qui fait battre le coeur.»

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L'ODEUR DU CAFÉ. DANY LAFERRIÈRE. ILLUSTRATIONS DE FRANCESC ROVIRA. SOULIÈRES ÉDITEUR ET LA BAGNOLE. 160 PAGES.

LE BAISER MAUVE DE VAVA. DANY LAFERRIÈRE. ILLUSTRATIONS DE FRÉDÉRIC NORMANDIN. LA BAGNOLE, 48 PAGES.