En mai dernier, l'écrivain, essayiste, médecin, ex-diplomate, Prix Goncourt et membre de l'Académie française - ouf! - Jean-Christophe Rufin lançait, chez un petit éditeur, un livre au long titre gentiment teinté d'autodérision: Immortelle randonnée. Compostelle malgré moi. Succès monstre: 300 000 exemplaires vendus en six mois!

Publié à nouveau, cette fois chez Gallimard, l'ouvrage est devenu un beau livre grâce aux 130 photos du travailleur humanitaire québécois Marc Vachon, avec qui l'écrivain a refait le chemin de Compostelle. Jean-Christophe Rufin résume sa dernière demi-année en quelques mots-clés.



Pieds


«Les pieds, au début, c'est le sujet de conversation favori des pèlerins, un sujet de préoccupations quotidiennes, un sujet de surprises aussi. Je fais beaucoup de montagne, de trekking, je n'ai pas l'habitude d'avoir des problèmes avec mes pieds, mais là, le fait de marcher à plat, avec le frottement, régulièrement... En fait, c'est surtout un facteur d'égalité: les pèlerins sont tous différents, mais ils ont tous des pieds!»



Mochila


«C'est le monde qu'on porte sur ses épaules. C'est l'univers du pèlerin, sa mochila; dans ce sac à dos, il ne faut pas trop de choses, mais quand même suffisamment pour survivre.»



Compostelle prise 1


«Quand je repense à Compostelle, je me vois surtout au début, un peu perdu, me demandant ce que je faisais là. C'est curieux parce que, au commencement, c'est un chemin comme les autres, et plus on avance, plus on se rend compte qu'il est singulier, qu'il ne ressemble à rien d'autre. Même si j'avais un peu lu sur le sujet, ç'a été un véritable objet d'étonnement pour moi. Je n'avais vraiment pas la moindre idée de ce que c'était, vraiment pas!»



Compostelle prise 2


«C'est plus fréquent qu'on ne le croit, refaire Compostelle. Il y a même des addicts, c'est toxique, ce chemin [rires]. J'ai croisé des gens qui ont fait sept ou huit pèlerinages sur le Chemin. Je considère que j'y suis retourné une première fois en écrivant le livre. J'y suis ensuite retourné avec Marc [Vachon] pour les photos. J'ai fait pas mal de conférences cette année sur le sujet, et j'ai eu l'occasion d'être avec des conférenciers qui sont devenus de véritables professionnels de Compostelle: le dernier est en train d'écrire Compostelle pour les nuls! Bon, j'espère ne pas en arriver là, mais c'est un risque...»



300 000 exemplaires


«Je n'avais pas l'intention d'écrire sur Compostelle, mais je l'ai fait pour rendre service à un tout petit éditeur de Chamonix, dans les Alpes: ils sont exactement trois personnes, chez les éditions Guérin! Au départ, c'était leur idée, je voulais leur donner un petit coup de main, et j'ai été le premier surpris de voir le succès de ce livre, vraiment considérable! D'autant plus que, moi, en tant que lecteur, je pense qu'en voyant le mot Compostelle sur un livre, j'aurais plutôt tendance à me méfier... Ce succès est lié, je crois, au traitement du sujet, ni religieux ni antireligieux. Ce n'est pas une approche catholique du Chemin. Il y a beaucoup de gens qui m'ont dit qu'ils avaient beaucoup lu sur Compostelle, mais que c'était la première fois qu'ils se reconnaissaient dans un livre. Et pour Guérin, ç'a été le pactole!»



Marc Vachon


«Je connais Marc depuis 20 ans, il a écrit un livre à succès [Rebelle sans frontières, chez Boréal], et c'est vraiment un ami proche, très cher. Un homme courageux qui enchaîne depuis 20 ans les missions humanitaires en tant que logisticien; d'ailleurs, il est aux Philippines, à l'heure actuelle. Il y avait donc ce projet de faire une version illustrée du livre, mais je n'avais pas du tout envie de partir avec un photographe professionnel. Du coup, j'ai proposé à Marc de m'accompagner: c'était amusant, imaginer l'ancien biker de Montréal, avec tous ses tatouages, sur le chemin de Compostelle! Évidemment, j'étais un petit peu gêné pour expliquer mon choix à Gallimard: j'ai un peu caché le truc en disant que j'avais choisi un photographe nord-américain, mais que, non, ça ne nous coûterait pas les yeux de la tête parce qu'il me faisait un prix [rires]! Quand j'ai présenté Marc, ça a fait «gloups». Mais finalement, ça s'est très bien passé et maintenant, tout le monde l'adore chez Gallimard!»



Compostella


«En général, on encadre la compostella [certificat de pèlerinage remis à ceux qui ont fait Compostelle] et on la met sur la télévision. Mais moi, je n'ai pas la télévision. Alors, je l'ai accrochée dans un coin. Ça ne sert évidemment à rien. Mais en même temps, on est content quand on passe devant.»



Himalaya


«J'arrive de trois semaines là-bas, j'étais au Bhoutan, petit royaume charmant, où je suis allé faire du trekking à la frontière du Tibet. C'est une découverte pour moi, magnifique, car je ne connaissais pas le massif de l'Himalaya, j'ai très envie d'y retourner. En comparaison, nos Alpes font un peu microscopiques! C'est un vaste massif, des vallées plutôt chaudes et des bananiers, mais aussi de très hauts sommets. J'étais un peu entre les deux, je ne suis pas monté au-delà de 5000 m, mais il y faisait tout de même très froid.»



Demain


«J'ai consacré presque toute l'année à cette affaire de Compostelle, malgré moi, car je ne pensais pas que ça m'amènerait aussi loin: j'ai fait énormément de conférences, de voyages, de visites, etc. Alors, demain, c'est l'après-Compostelle: je tourne la page, je vais me remettre à écrire des romans. Ils n'auront peut-être pas autant de succès, mais ça m'est égal!»

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Jean-Christophe Rufin, Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi, édition illustrée, Gallimard, 272 pages.

Jean-Christophe Rufin, en conférence et en séance de dédicaces (stand 260) au Salon du livre de Montréal, aujourd'hui et demain.