Ou hypocrite, ou mesquin, ou terriblement méprisant. Virginie Despentes, qui a fait son entrée en littérature en provoquant (Baise-moi), revient au roman cet automne. Après Bye bye blondie et King Kong théorie, on ne s'étonne pas de voir arriver Apocalypse bébé, titre un peu énervant, mais qui se justifie à la fin.

Adoucie, moins «trash»? Sans doute. Ce n'est pas un essai , comme son dernier titre, mais un vrai roman, avec intrigue policière, histoire d'amour et nombreux personnages. Lucie Toledo, détective privée sans envergure, «une laide en plus!» comme dira un de ses clients, est affectée à la filature de la fille de 15 ans d'un écrivain bourgeois. La jeune Valentine, un peu ronde, en mal de père et sans doute de beaucoup d'amour, se drogue, couche énormément et avec n'importe qui. Puis disparaît, au soulagement à peine coupable de son père. Pour l'aider à la retrouver, Lucie fait appel à La Hyène, vedette du monde interlope protégée en haut lieu. Une lesbienne à la beauté inquiétante, monstre sadique à ses heures.

Leurs recherches les mèneront jusqu'à Barcelone (où l'auteure habite désormais avec sa compagne). Elles croiseront des gosses de riches hargneux «gentiment White Power»; une communauté de lesbiennes underground; un jeune Arabe en rage contre son milieu et la société française, qui méprise plus que tout sa tante qui a fait des études en «singeant» les Français; Vanessa, la mère de Valentine, qu'elle a abandonnée bébé. Étiquetée «beurette» à Paris et «parisienne» à Barcelone, elle goûte enfin «les joies de la condescendance» et le «bonheur de pouvoir être raciste»...

Virginie Despentes s'amuse à remuer les certitudes, à attaquer l 'asservissement plus ou moins volontaire des femmes, l'obligatoire beauté, la supposée liberté sexuelle, toutes les «belles conneries de Française qui se croit libérée». Elle gratte aussi du côté des inégalités sociales, des bons sentiments de la gauche, des tares des jeunes anarchistes ou des petits travailleurs de droite, ceux qui ont l'impression d'être à l'avant-garde de la subversion «en étant toujours du côté du pouvoir», mais sans jamais oser réclamer leurs heures supplémentaires.

La critique sociale est la grande force de ce roman, pourvu qu'on tolère une bonne dose de violence, de scènes crues et de vulgarité assumée. Par contre, le dénouement, tiré par les cheveux, nous a laissés perplexes.

Il nous reste malgré tout d'innombrables petites phrases qui s'incrustent comme des vers d'oreille: «C'est des hétéros, elles ont l'habitude d'être traitées comme des chiennes...» Ou, «Il n'y a que les moches, les grosses et les vieilles pour se laisser étourdir par l'intensité du désir de l'autre.» Ou encore, «les seules compagnes que Claire supportait, à présent, étaient des amies célibataires de son âge qui n'avaient pas eu d'enfants. C'était les seules femmes qu'elle plaçait en dessous d'elle...»

Lucide ou simplement trop moche, cette vision du monde et de la condition des femmes? Le fait est qu'elle nous agace, Virginie Despentes. Et c'est justement son but. À lire pour essayer de comprendre, exactement, pourquoi elle dérange

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* * * 1/2

APOCALYPSE BÉBÉ. Virginie Despentes Grasset, 343 pages.