J'ai quelque part, dans une boîte de souvenirs, un objet qui fait l'envie d'Herby Moreau. Ce n'est pas vraiment un objet de valeur, mais Herby ferait des bassesses pour l'avoir. C'est quoi? Un authentique billet de 1 dollar, frappé au dos du sigle du Business, une boîte de nuit du boulevard Saint-Laurent qui fut le rendez-vous du jet-set montréalais des années 80.

Dans son livre Glamour et faux pas, écrit à quatre mains avec ma collègue Stéphanie Vallet, qui sera lancé aujourd'hui, Herby a inséré une photo de ce billet vert qui était en réalité le carton d'invitation pour l'ouverture du Business, où il ne fut pas invité. Du moins, pas ce soir-là...

«Je ne te mens pas, tous les lundis matin, au collège Brébeuf, les gens de ma classe ne voulaient savoir qu'une chose: «T'es rentré ou t'es pas rentré?» Si t'avais réussi à rentrer au Business, c'est-à-dire à faire en sorte que les armoires à glace à la porte t'accordent cet ultime privilège, ça voulait dire que tu faisais partie du jet-set», lance Herby dans un éclat de rire.

Faire partie du jet-set: d'aussi loin qu'il se souvienne, Herby, qui est né en Haïti en 1968 et qui a vécu à Brazzaville, au Congo, avant d'immigrer avec ses deux soeurs et ses parents à Montréal à l'âge de 5 ans, avait ce désir d'entrer dans le monde exclusif, solaire et nimbé de mystère du jet-set.

Lui, le jeune Haïtien de Longueuil, le petit nobody qui n'avait pas de contacts dans le milieu, voulait furieusement, désespérément être de l'autre côté de la barrière. Si d'autres avaient réussi, pourquoi pas lui?

Nous sommes 25 ans plus tard. Herby, qui vient de signer un contrat de cinq ans avec Bell Media pour produire des capsules showbiz, m'attend dans le café d'un hôtel du Vieux-Montréal, à un jet de pierre de son condo où, de son propre aveu, il n'y a pas l'ombre d'une photo de vedette sur les murs.

Pourtant, les vedettes, le vedettariat, le glam, le strass, les tapis rouges, c'est sa vie, son métier, sa raison d'être. Mais n'eût été le Business, où il a passé des soirées entières à faire la file dans l'espoir d'être admis, qui sait si sa vie n'aurait pas pris une autre direction?

«J'en doute, répond-il. Je suis un enfant de la télé et du Paris Match. Le showbiz, j'en mange depuis l'enfance. J'ai toujours voulu en être d'une manière ou d'une autre. Mais c'est au Business que j'ai fait mes armes et découvert les codes pour rentrer dans ce monde-là. Mon but était simple: être aux premières loges afin de raconter ce milieu qui me fascinait et qui fascine tout le monde.»

À Brébeuf, où il étudiait à l'époque, son surnom était Disco Moreau. Pendant que ses camarades tripaient sur Pink Floyd, il écoutait Donna Summer. «Disco Moreau, ça ne me dérangeait pas du tout. Même que ça me convenait parce que j'avais envie de faire partie du groupe, mais pas de m'y fondre. Déjà, je voulais ressortir du lot.»

Le Business fut un premier pas dans la bonne direction. Son amitié avec une certaine Julie Snyder, qui étudiait à Brébeuf et qui habitait comme lui sur la Rive-Sud, le deuxième.

En 1990, lorsque Herby apprend que Julie anime l'émission Sortir à TQS, il va cogner à sa porte et devient un stagiaire à ce point indispensable que Julie n'a d'autre choix que de l'engager à temps plein.

Entre-temps, Herby a fait un bac en communication à l'Université de Montréal pour devenir journaliste. Puis, en 1992, il prolonge sa formation à l'école de journalisme de Lille, en France. Or, c'est dans une parfumerie de Lille qu'il vivra une aventure déterminante qui fera de lui le prince des tapis rouges.

Toujours à l'affût des allées et venues des people, Herby a en effet appris dans le journal que Claudia Schiffer serait de passage dans une parfumerie à Lille. Claudia Schiffer! Ses camarades de l'école de journalisme se foutent de sa gueule. Pas question pour eux de manquer un cours pour faire le pied de grue devant une parfumerie qui sera sans doute envahie par des hordes de fans en délire.

Herby, lui, voit les choses autrement. N'écoutant que son instinct, il décide d'aller à la rencontre de la star. Et tant pis pour le cours d'actualité politique. En route, il prend la précaution de s'acheter un appareil photo jetable, au cas où.

Arrivé sur le trottoir devant la parfumerie, c'est la déception devant le calme plat qui y règne: pas de foule, de flics, de cohue, de cordons de sécurité.

Herby est sur le point de rebrousser chemin quand il a la présence d'esprit d'entrer dans la parfumerie. Une poignée de clients poireautent sur place et, parmi eux, il la voit, elle, Claudia Schiffer, en chair et en os, belle et lumineuse, en train de signer des autographes.

Tel le chasseur qui jette doucement son dévolu sur sa proie, il s'approche, lui sourit, s'empare d'un flacon de parfum et lui lance la phrase la plus cool qu'un Lillois pourrait proférer: «Vous êtes bien la dernière personne que je pensais voir dans une boutique du Vieux-Lille.»

Et le tour est joué. Elle lui rend son sourire, lui répond dans un français impeccable. Il sort son appareil jetable et, pour ramener la preuve irréfutable qu'il a bel et bien rencontré Claudia Schiffer, se glisse dans la photo avec le célèbre mannequin, produisant un égoportrait avant la lettre.

De retour à l'école, les réactions suscitées par la photo scelleront son sort. D'abord, tous les camarades qui se foutaient de sa gueule se précipitent pour voir sa photo en s'extasiant. Quant au prof, il l'engueule gentiment pour avoir manqué son cours avant d'ajouter: «Bravo, monsieur Moreau: la première qualité d'un journaliste, c'est d'être au bon endroit au bon moment. Mais évitez de refaire ça pendant mon cours.»

À ce sujet, Herby affirme dans Glamour et faux pas: «Ce clic a été le déclic de ma carrière: depuis maintenant 25 ans, je me passionne à rendre les plus grandes stars accessibles au public.»

Toujours fasciné par les stars

C'est précisément sur ce dernier point que Herby et moi ne nous entendrons jamais. Lui demeure, après toutes ces années, parfaitement fasciné par les stars. Pour ma part, les stars m'apparaissent comme une caste de privilégiés trop cher payés, qui trafiquent impunément leur image et mentent compulsivement aux médias, quand ils ne se font pas attendre pendant des heures aux portes, aux fenêtres et sur les tapis rouges.

Les stars, à mon humble avis, n'ont pas grand-chose à dire, ne carburent qu'à leur propre notoriété, accaparent trop d'espace dans les journaux et les magazines, et ont donné naissance à une forme de journalisme où le potinage, plutôt que la substance, fait loi.

Évidemment, Herby n'est pas d'accord avec moi. Il affirme que la forme de journalisme qu'il pratique - le genre people, tendance Paris Match - est légitime.

«Oui, Nathalie, c'est du journalisme», insiste-t-il. Il a raison. Le problème, c'est la peopolisation du journalisme en général et le fait que le vedettariat est devenu la valeur cardinale de l'information. Le résultat de ce cirque, c'est que si vous n'êtes pas une vedette, peu importe ce que vous avez accompli, vous n'existerez pas médiatiquement.

Évidemment, Herby n'est pas responsable de cette fâcheuse tendance, mais il y participe et la perpétue en quelque sorte. Qu'a-t-il à dire à ce sujet?

«Je sais bien que je ne sauve pas des vies et qu'il y a des choses plus importantes dans le monde que Brangelina. J'ai conscience que les stars sont contrôlées par leurs agents et qu'elles répètent une cassette. Mais moi, justement, je fais tout pour les faire sortir de leur cassette. Et puis, je les aime, ces gens-là. Je vois bien qu'ils sont pognés dans un système. Tu ne peux pas faire ce métier aussi longtemps si tu ne les aimes pas.»

Aimer les stars, faire partie du jet-set, avoir accès à leur monde étanche et calfeutré; tout cela semble facile, mais en réalité, selon Herby, c'est du travail. Un travail fait d'attente, de diplomatie, de politique, de psychologie, de mise en confiance et de calcul mental.

En l'écoutant défendre son métier, j'imagine Herby à 17 ans devant la porte du Business, masquant son désir brûlant d'entrer, sous des dehors nonchalants et cool.

Aujourd'hui, Herby a rarement besoin de faire la file. Aujourd'hui, plusieurs stars l'appellent par son petit nom. Et le plus heureux, ce n'est pas le Herby de 46 ans, c'est le petit Haïtien de Longueuil, le nobody sans contacts, sans pistons, qui cogne à la porte et qui veut entrer.