L'astrophysicien Hubert Reeves est de retour avec un nouvel essai qui nous invite à renouer avec la «belle-histoire» de l'Univers de laquelle l'Humanité s'est écartée dans ce qu'il nomme «la moins-belle-histoire». Car si la nature nous a dotés d'une intelligence qui nous a permis de faire des ravages dans l'environnement, la compassion et l'altruisme font tout autant partie de notre évolution, comme en témoigne le «réveil vert» à l'origine du mouvement écologiste. Par un vers emprunté au poète Hölderlin qui donne le titre à son livre, Hubert Reeves nous propose rien de moins qu'une «cosmoéthique» pour l'avenir.

Q : Il est difficile pour les scientifiques, quand l'heure est grave, d'offrir un message d'espoir. Et c'est pourtant ce que vous faites dans votre dernier livre, sans pour autant nous éviter de voir la réalité en face.

R : Oui, c'est un peu le but du livre, et du titre d'ailleurs. Là où croît le péril... ça veut dire qu'on reconnaît la réalité, mais croît aussi ce qui sauve, c'est-à-dire que nous sommes dans un mouvement général qui a commencé il y a plus d'un siècle et demi, le «réveil vert». C'est important de le dire parce que beaucoup de personnes pensent que tout ça, c'est nouveau. Eh bien, ce mouvement prend de l'ampleur et donne de l'espoir.

Q : Vous nous racontez deux histoires, la belle et la moins belle. Dans la belle histoire, vous décrivez la formidable épopée de l'Univers qui a mené jusqu'à l'existence de l'être humain. Vous dites que le jeu favori de la nature est de créer toujours plus de complexité et que nous en sommes la preuve.

R : C'est un peu un résumé de ce que les sciences contemporaines, l'astronomie et la biologie, nous enseignent sur le passé de l'Univers. À partir du Big Bang qui était un grand état de chaos, et comment l'histoire de l'Univers, c'est l'histoire de la matière qui s'organise et qui amène à des hauts faits comme l'apparition de la vie et, en ce qui nous concerne, l'apparition de l'Humanité.

La première histoire a 14 milliards d'années, la seconde a à peu près 200 000 ans, et c'est l'arrivée sur la Terre de notre espèce, Homo sapiens, qui a reçu de la nature un cadeau qui est l'intelligence qui lui a permis de survivre dans les temps anciens et qui aujourd'hui menace son avenir sous forme de réchauffement climatique et de pollution, d'érosion de la biodiversité, d'acidification des océans, enfin, tout ce qu'on voit dans les journaux. Les deux histoires se poursuivent en parallèle maintenant, d'où l'intérêt de ce qui se passe depuis plus d'un siècle et demi, ce que j'appelle le «réveil vert». [...]

Q : Dans la moins-belle-histoire, c'est l'existence même de l'être humain qui menace la planète. L'espèce humaine serait-elle une espèce nuisible?

R : On pourrait dire ça, mais elle a le droit d'exister, elle a le droit de se défendre. On ne peut blâmer nos lointains ancêtres d'avoir voulu vivre dans un monde hostile et d'avoir développé des armes pour se défendre. C'est quelque chose qui a commencé lentement avec une portée bien faible, mais avec le temps, avec la technologie se raffinant et permettant des armes et des moyens d'interagir avec la nature de plus en plus puissants, ce qui était au début quelque chose pour permettre la survie est devenu quelque chose qui nous menace.

Q : L'une des constatations les plus belles dans votre livre concerne le réveil vert. Dame Nature a créé chez l'humain la compassion et l'altruisme, qui pourraient bien nous sauver. Cela fait partie de notre évolution.

R : Il ne faut pas voir ça comme étranger à la nature. C'est une des possibilités que nous offre la nature par ces moyens qui sont suggérés par la compassion, qui sont les moyens qui pourraient nous permettre de survivre et de coexister avec notre environnement.

Q : Comment expliquez-vous que, malgré une grande unanimité du monde scientifique concernant les dangers écologiques qui nous menacent, on ne soit pas plus engagés à les combattre? On n'a qu'à penser au gouvernement Harper, plutôt anti-scientifique et pas très porté sur la protection de l'environnement.

R : Oui, c'est un tournant de la politique canadienne il y a quelques années qui se reproduit aujourd'hui en Australie. L'Australie qui était jusqu'ici assez sympathique à l'écologie est maintenant devenue tout aussi antipathique que le Canada à ce sujet.

Les deux pays ont des évolutions semblables, très inquiétantes pour l'avenir. Alors que les États-Unis semblent au contraire se rediriger avec Obama vers la prise en compte du réchauffement climatique, par exemple, avec des moyens d'inverser la situation. Et la Chine aussi, qui est également très impliquée aujourd'hui dans l'environnement bien qu'elle soit la plus grande pollueuse. Alors pourquoi? Ce sont plutôt des questions sociologiques. Souvent, on ne veut pas voir, c'est une attitude qui dit «je ne veux rien savoir de ce qui se passe, je fais passer le profit devant la sécurité». Quelles sont les raisons pour lesquelles il y a un tel aveuglement? Je n'en sais rien.

Q : Êtes-vous malgré tout optimiste? D'après votre livre, j'ai l'impression que nous avons le devoir de ne pas être défaitistes.

R : Exactement. Parce que quand vous dites que vous êtes pessimiste, ça va mal. Quand on dit que c'est foutu, c'est foutu. Il faut garder cette tendance volontariste de dire qu'il faut faire ce qu'on pense qu'il faut faire, quoi qu'il arrive. Peut-être que ça ira mieux, peut-être pas, on n'en sait rien. Personne ne connaît l'avenir, mais il faut avoir cette détermination fondamentale pour arriver à être mobilisé et mobiliser les autres.

Extrait Là où croît le péril... croît aussi ce qui sauve

«Durant la plus grande partie de l'histoire de la vie terrestre, le nombre de disparitions a été à peu près compensé par le nombre d'apparitions.

Mais à certaines périodes le nombre de disparitions s'accroît prodigieusement sans être compensé par les apparitions , ce qui réduit considérablement le nombre d'espèces vivantes. C'est ce qu'on appelle une période d'extinction. On peut exprimer cette réalité en termes de «périodes moyennes entre chaque disparition d'espèce» telle que recensée par les paléontologues. En temps ordinaires, cette période est d'environ 400 ans. Aujourd'hui, elle est de quatre heures...

Là où croît le péril... croît aussi ce qui sauve. Hubert Reeves. Seuil. 157 pages.