Parce qu'«à 78 ans, il reste moins de temps qu'il en restait», Jean Cournoyer a décidé de se raconter, non pas en se regardant le nombril ou en réglant des comptes, mais en mettant sa carrière d'homme public en parallèle avec l'évolution du Québec mouvant d'il y a un demi-siècle. Le titre Dans le feu de l'action - le livre sort aujourd'hui - résume bien cette carrière politique courte (1969-76), mais d'une rare densité dramatique en matière de défis et d'action.

À l'époque où le Québec n'était qu'une flambée de revendications sinon de violence, personne n'a éteint autant de «feux»... ni vu autant brûler. Jean Cournoyer a été négociateur du gouvernement, puis ministre avec les Bleus de Jean-Jacques Bertrand et les Rouges de Robert Bourassa. Ministre - premier ministre - de la Fonction publique, du Travail et de la Main-d'oeuvre dans la première moitié des années 70... Pas reposant, comme on disait. Une grève n'attendait pas l'autre, impromptue, générale, illimitée. Les policiers et les pompiers de Montréal en même temps et, plus tard, toute la fonction publique? «Des malades abandonnés dans leur lit, des fous laissés à eux-mêmes: ça n'avait aucun bon sens! Plus de 250 000 travailleurs en grève: qu'est-ce que je fais?» Une ville, un pays paralysés, avec des gens qui souffraient et d'autres qui soufflaient sur le feu. Comme dans les chantiers saccagés de la baie James...

Le syndicalisme

Devant le Front commun, les travailleurs en colère ou les chefs syndicaux emprisonnés, arrivait Ti-Jean Cournoyer, haut de même, 110 livres «tout trempe» mais doté de beaucoup de matière grise entre ses deux grandes oreilles, qualités qui lui conféraient une remarquable capacité d'écoute. Pour aller, vite «parce que ça pressait», à l'essentiel du problème en discernant le faisable. Si l'on voit la politique comme l'art du possible, Jean Cournoyer était politicien jusqu'au bout des doigts.

Comment le syndicalisme québécois a-t-il évolué? , demande-t-on au parrain de la loi anti-briseurs de grève. «Dans les syndicats, il y a toujours deux groupes: la construction et les autres», dit-il en rappelant que les problématiques actuelles de violence, de chantage et de corruption n'ont rien en soi de nouveau.

Sur l'échiquier politique, il était - il est toujours - fédéraliste: «Il m'apparaissait trop simple de mettre la faute sur le Canada pour les difficultés que nous éprouvions dans la gestion de nos affaires», lit-on dans la chapitre «Passage au journalisme». Et le rêve souverainiste qu'il a toujours confronté à la réalité dans ses Face-à-face avec Mathias Rioux à CKVL et après? «Chose certaine», dira le mémorialiste - voir La Mémoire du Québec au www.cournoyer.qc.ca -, «l'indépendance du Québec ne se fera pas avec le Parti québécois. Si elle se fait, ce sera CONTRE quelque chose...»

Un héritage

Sur la question linguistique, l'ancien maire de Dollard-des-Ormeaux - 75% d'anglophones - et député de Robert-Baldwyn n'est pas plus énervé: «Les Montréalais ne sont pas aussi préoccupés que les Chicoutimiens de la situation du français à Montréal où tout le monde est intégré. Ce sont les anglophones qui s'isolent...»

Que laisse-t-il? «Rien dont les gens se souviennent vraiment», répond-il dans une langue où se mélangent l'accent des chantiers navals de Sorel, où travaillait son père, et celui du Séminaire de Saint-Hyacinthe, son alma mater. «Claude Castonguay a laissé l'assurance maladie, Paul Gérin-Lajoie, le ministère de l'Éducation. Un pompier comme moi, ça ne laisse que des cendres...» Et quelques édifices sauvés des flammes.

Dans le feu de l'action, de Jean Cournoyer. Éditions de l'Homme. 342 pages