Il est l'un des rares illustrateurs québécois à avoir percé le marché du comic book américain. De son studio du quartier Hochelaga-Maisonneuve, Yanick Paquette illustre depuis des années les plus grandes séries bédé de Marvel et de DC Comics, dont la plus récente adaptation de Wonder Woman, lancée le printemps dernier.

Nul n'est prophète en son pays, dit-on. Voilà une expression qui sied bien à cet illustrateur québécois de 42 ans que bien peu de gens connaissent ici.

«Quand j'ai commencé à dessiner, il y a une vingtaine d'années, raconte Yanick Paquette, ce n'était pas du tout une option de faire de la bédé ici. La Pastèque n'existait pas. On ne pouvait pas vivre de ça. Il fallait absolument s'expatrier, et comme j'avais des affinités avec la bédé américaine, qui était un marché assez ouvert à l'époque, c'était plus facile pour moi de rentrer là-bas.»

Après avoir envisagé des études en biologie pour devenir entomologiste, Yanick Paquette, qui dessinait dans le journal étudiant de son cégep (Édouard-Montpetit), a eu envie de tenter sa chance dans le monde de l'illustration.

«Quand j'ai décidé de faire de la bédé de façon plus sérieuse, je me suis donné un an de travail personnel pour m'entraîner, se rappelle-t-il. Je me suis intéressé à l'anatomie du corps humain et je me suis mis à dessiner des bras, des mains, des jambes, avec les muscles, les tendons, de façon très systématique. Je ne pense pas qu'il y a grand-monde qui s'est formé comme ça...»

Après avoir accompli avec succès ce travail insolite, il s'est finalement lancé dans l'arène américaine «avec l'insouciance de la jeunesse».

Des séries télé aux superhéros

Yanick Paquette a fait ses débuts dans les années 90 en illustrant des adaptations de séries télé américaines comme The X-Files ou Xena Warrior Princess pour Topps Comics. Rapidement, il s'est fait remarquer pour ses dessins réalistes. Ont suivi des contrats avec DC Comics pour illustrer les fascicules de la série Justice League of America.

«La plupart des comics américains sont des mensuels, ce qui fait que le rythme de travail est assez accéléré. Mais quand on doit illustrer 22 pages par mois, on est obligés de faire des sacrifices artistiques, de couper les coins ronds. Je l'ai fait un temps, mais à un moment donné, je trouvais ça inacceptable. J'ai préféré travailler sur des miniséries sur des périodes d'un an.»

En peu de temps, il est devenu l'un des dessinateurs-vedettes des séries de Marvel et DC Comics. Young X-MenSupermanBatman, mais aussi Swamp Thing, qu'il a revisité avec Scott Snyder il y a quelques années et qui a connu un énorme succès.

WOonder Woman: Earth One

Pour son plus récent projet de bédé, Yanick Paquette a fait équipe avec le réputé scénariste écossais Grant Morrison pour replonger dans l'univers original de Wonder Woman.

«Les premiers albums de Wonder Woman parus dans les années 40 étaient des objets très étranges, note l'illustrateur. Diana, qui était la princesse des amazones, était un personnage féministe, mais en même temps, il y avait plusieurs scènes de bondage [ligotages], c'était très fantaisiste. Il n'y avait rien de sexuel, mais c'était quand même des histoires un peu perverses...

Photo fournie par DC Comics

Wonder Woman: Earth One 

«L'auteur Charles Moulton, qui était psychologue, vivait avec sa femme et sa maîtresse, poursuit Yanick Paquette. À son décès, les deux femmes ont vécu une relation lesbienne. Il ne faut pas oublier qu'on est dans les années 40 ! Grant Morrison [qui a revisité toute la mythologie de Superman et Batman] est revenu à ces sources en imaginant un monde dirigé par des femmes.»

Le premier album, sorti au mois d'avril dernier, a été bien accueilli. Les autres tomes sont en route. Un travail qui devrait l'occuper pour les deux prochaines années.

Oiseaux rares

Avec entre autres Thierry Labrosse, Jean-François Bergeron, Denis Rodier ou Jacques Lamontagne, Yanick Paquette fait partie des happy few québécois qui vivent de la bédé à l'étranger. Mais n'est-il pas limité dans sa créativité dans l'univers des comic books?

«Non. Ma situation est très enviable, répond-il. Avec les années et les projets, je pense que j'ai réussi à prendre pas mal de libertés dans mes dessins, donc je ne me sens pas castré dans ma créativité. Parfois, je me dis que j'ai fait le tour du jardin... Peut-être qu'un jour je ferai une série de science-fiction de mon côté, mais pour l'instant, je suis heureux dans ce que je fais.»

Comment vit-il sa célébrité américaine et son quasi-anonymat au Québec? «Je ne suis pas frustré. Il y a peut-être un sentiment protectionniste au Québec. C'est un tout petit marché, et moi, j'ai pas vraiment rapport ici. Mon travail ne reflète pas du tout la réalité québécoise, et dans les festivals de bédé québécois, c'est vrai qu'on ne pense pas souvent à moi. Je comprends la situation, mais je constate que c'est plus facile d'accepter des auteurs qui travaillent en Europe francophone que ceux qui travaillent aux États-Unis.»

Est-ce qu'on peut s'attendre à un projet «québécois»? «Moi, j'encourage complètement la bédé québécoise, mais je suis pris dans plein d'autres projets. Je ne l'exclus pas, mais honnêtement, en ce moment, je n'ai pas le temps!»

Photo fournie par DC Comics

Wonder Woman: Earth One