Héritier de Franquin, le dessinateur français Jean-Claude Fournier est aussi un pédagogue hors pair qui a formé à son tour une génération de dessinateurs, dont le globetrotteur français Emmanuel Lepage, auteur d'Un printemps à Tchernobyl.

L'un est barbu, tout en rondeurs joviales, et a longtemps été un gardien du temple des «gros nez» chez Dupuis, à commencer par Spirou, qu'il anima durant dix ans à la suite du génial créateur de Gaston Lagaffe. L'autre est grand et mince, tenant d'une BD de grand reportage réaliste et sophistiquée: tout semble séparer Fournier, 70 ans, et Lepage, 47 ans.

Et pourtant, c'est auprès du premier que s'est formé le second, dans la plus pure tradition d'«écolage» des grandes heures de la BD franco-belge.

«Tout est parti de Jijé qui a formé Franquin, Morris, Giraud, Mézières et d'autres... On a essayé de continuer à transmettre la petite flamme», confie à l'AFP Jean-Claude Fournier, objet d'une rétrospective au festival BD Quai des Bulles de Saint-Malo, le deuxième de France après celui d'Angoulême.

Pour Emmanuel Lepage, l'aventure débute comme un conte de fées: «à 13 ans, j'apprends que Fournier, le dessinateur de Spirou, vit à Rennes comme moi. Je lui écris que je veux faire de la BD et, chose incroyable, il m'invite à lui présenter mes dessins. C'était le 11 juin 1980.»

«Comme un lapin»

«À partir de l'âge de 15 ans, pendant trois ans, je suis allé travailler chez lui tous les mercredis. Mais attention, il mettait à l'épreuve et m'a fait travailler dur, notamment la perspective», ajoute le dessinateur.

«À l'époque, il n'y avait pas d'écoles de BD. C'était l'atelier qui servait d'école. Les fondamentaux, c'est Jean-Claude qui me les a appris», souligne encore l'auteur de Voyage aux îles de la Désolation.

«Franquin disait qu'on apprend 80% du métier tout seul, et 20% en rencontrant un professionnel», confirme Fournier, qui a accueilli en tout une douzaine d'«élèves», parmi lesquels Louarn, Plessix et Hiettre.

«Je ne me suis jamais posé la question. Inconsciemment, j'étais extrêmement redevable à Franquin, qui m'avait lui-même ouvert son atelier à la suite d'une rencontre de dédicaces alors que j'avais 22 ans», ajoute le père du lutin Bizu.

Pour Emmanuel Lepage, «Fournier a permis l'émergence de la BD en Bretagne. Les gens s'adressaient à lui car c'était l'auteur d'une série célébrissime. Mais il a toujours respecté la personnalité de chacun».

«Je me suis reproduit comme un lapin: il y a aujourd'hui plus de 300 auteurs de BD en Bretagne. En 1969 j'étais tout seul», s'amuse Fournier.

Une descendance directe et indirecte qui s'est épanouie dans une profusion de genres. «J'ai toujours été très attentif à ne pas influencer les jeunes qui passaient chez moi avec mon style. Je veillais à ce qu'il n'y en ait pas plusieurs à la fois dans mon atelier, car les conseils que je donnais à l'un ne concernaient pas forcément un autre», souligne-t-il.

À l'époque, «Manu (Lepage) se distinguait car il était l'un des seuls à discuter systématiquement tout ce que je disais», ajoute le dessinateur. «Aujourd'hui, je suis ébahi par son talent, notamment d'aquarelliste. C'est un peu mon deuxième fils mais il m'énerve: il est trop doué.»

Devenus voisins en Bretagne, les deux hommes continuent de s'enrichir mutuellement.

Alors que l'heure de la retraite aurait pu sonner, Fournier a en effet opéré une remise en question totale de son style, adoptant un trait semi-réaliste pour signer avec Lax l'inattendu et très réussi diptyque Les chevaux du vent (Aire Libre), une épopée himalayenne en couleur directe.

Pour ce faire, il est allé demander des conseils en aquarelle à son ancien élève... «Je ne sais pas si j'ai appris des choses à Manu il y a trente ans, mais moi, en ce moment, il m'apprend des choses. C'est un retour sur investissement», résume Fournier.

Fait rare du vivant d'un auteur, Dupuis vient de publier une BD biographique, Dans l'atelier de Fournier, par Nicoby et Joub, pour les 75 ans de Spirou.