Si la valeur d'un livre devait se mesurer à son impact touristique, Harry Potter serait un sérieux candidat à la médaille d'or.

En tout juste 20 ans, la série de J.K. Rowling s'est en effet imposée comme l'un des attraits principaux de la ville d'Édimbourg, rivalisant avec des attractions plus classiques, comme le château, l'avenue Royal Mile ou les magasins de tartans qui polluent le centre touristique.

La capitale écossaise ne manque certes pas de lieux liés aux aventures du jeune sorcier.

Il est connu que Mme Rowling y habitait lorsqu'elle a créé les trois premiers tomes de Harry Potter. Il est connu qu'elle a passé des heures à écrire dans deux cafés de la vieille ville, dont le désormais fameux Elephant House, qui se targue, sur sa vitrine, d'être le «lieu de naissance de [la série] Harry Potter», et où les potterheads affluent par centaines pour rendre hommage à l'auteure, sous forme de graffitis dans les toilettes.

Rowling n'a jamais caché, non plus, que la capitale écossaise l'avait largement inspirée, tant par son atmosphère sombre que par son architecture ancienne, limite médiévale.

Il n'en fallait pas plus pour que l'industrie touristique locale, pourtant pas en manque de points d'intérêt, ne saute sur ce filon. Qui ne cesse de se développer... pour le meilleur et pour le pire.

Problème d'espace

En 2012, on ne comptait qu'une seule entreprise offrant des visites guidées Harry Potter à Édimbourg: le Potter Trail. Dans les deux dernières années, ce chiffre se serait multiplié par huit. 

Toutes proposent plus ou moins le même parcours: visite des cafés où tout a commencé, passage au cimetière Greyfriars Kirkyard (où repose un certain Thomas Riddell, qui a inspiré le Tom Riddle des livres), arrêt à l'école George-Heriot (qui aurait servi de modèle au collège Poudlard), détour par la rue Victoria (inspiration pour Diagon Alley) puis finale au très chic hôtel Balmoral, où J.K. Rowling, désormais richissime, a achevé d'écrire le dernier tome de sa série en janvier 2007.

Il y aurait certes assez de demande pour justifier l'existence de ces nombreuses entreprises rivales. 

Richard Duffy, de Potter Trail, affirme avoir «jusqu'à 100 personnes par visite», au point de devoir désormais scinder ses groupes en deux. 

Il accuse toutefois certains de ses concurrents d'avoir «volé le script» de Potter Trail et admet qu'il y a parfois de la tension, lorsque deux groupes se croisent sur le terrain. 

«Disons que ça pose un problème d'espace», dit-il, poliment.

La surenchère ne s'arrête pas là. Dans la foulée du 20e anniversaire du premier tome, ce n'est pas un, mais bien deux magasins consacrés à l'enfant sorcier qui ont été ouverts au coeur de la vieille ville depuis un an et demi. 

Ces boutiques aux allures de cabinets de curiosité vendent des produits dérivés des films de la Warner, notamment des foulards et des chandails de Poudlard, des peluches de chouettes, des macarons, des pendentifs et bien sûr des baguettes magiques, «de loin l'article le plus populaire», confie une employée.

Ce n'est pas tout. Une entreprise d'hébergement offre depuis peu une suite Harry Potter, recréant vaguement les décors du film, où vous pourrez dormir pour la modique somme de 315 $ CAN la nuit.

Un pub local, le Conan Doyle, a par ailleurs été rebaptisé J.K. Rowling, l'an dernier, dans le cadre d'une intervention artistique temporaire.

Photo Jean-Christophe Laurence, La Presse

Le fameux Elephant House, qui se targue, sur sa vitrine, d'être le «lieu de naissance de [la série] Harry Potter».

Preuve supplémentaire d'un engouement: l'agence nationale Visit Scotland offre depuis un an une suggestion d'itinéraire Harry Potter sur son site internet.

Et admet ouvertement, par l'entremise de son porte-parole, que la série fait désormais partie de sa «stratégie de tourisme culturel».

Critiques et inquiétudes

Harry Potter aurait-il «gâché» Édimbourg, comme l'affirmait il y a un an le magazine lifestyle Vice? Dans ce texte critique, le journaliste affirme que l'industrie touristique liée à la série était devenue hors de contrôle, et que celle-ci reposait sur du vent, puisqu'elle s'appuyait essentiellement sur un monde fantastique.

Le débat, de fait, mérite d'être élargi : le tourisme a-t-il gâché Édimbourg tout court? Certains, comme l'écrivain écossais Alexander McCall Smith, ont commencé à soulever le problème. Ils s'inquiètent que la ville, envahie par les hôtels et l'afflux incessant de visiteurs, ne soit en train de se transformer en un gros parc d'attractions sans âme.

Un cri d'alarme que réfute Marketing Edinburgh. Cet organisme, chargé de promouvoir la capitale écossaise, encourage au contraire la venue de touristes, y compris, bien sûr, ceux et celles qui veulent explorer «la ville magique qui a inspiré Harry Potter». 

Sa porte-parole Emma Bathgate tient toutefois à rappeler que l'Édimbourg littéraire ne se limite pas à la série de J.K. Rowling. Et encourage les visiteurs à «sortir des sentiers battus» pour en apprendre davantage sur des auteurs écossais reconnus, comme Arthur Conan Doyle (Sherlock Holmes), Sir Walter Scott (Ivanhoé) ou Robert Louis Stevenson (L'île au trésorL'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde).

Sans oublier, dit-elle, «l'incontournable» Musée des écrivains. Où, étrangement, J.K. Rowling n'apparaît pas. Comme par magie.

Photo Jean-Christophe Laurence, La Presse

Des graffitis Harry Potter dans le café The Elephant House à Édimbourg.