Depuis qu'il a intégré l'Académie française, à Paris, l'écrivain montréalais Dany Laferrière a un plaisir coupable: participer à l'écriture du Dictionnaire de la langue française. Une occupation exigeante et passionnante qui lui permet de naviguer dans les nuances de notre langue.

Quand nous avons rencontré Dany Laferrière, à l'occasion des Correspondances d'Eastman, nous lui avons demandé où en était la rédaction de la neuvième édition du Dictionnaire de la langue française que prépare l'Académie française. 

En mai 2015, quand l'écrivain est devenu le premier Haïtien et le premier Québécois à intégrer la prestigieuse assemblée d'immortels, ces derniers se penchaient sur les mots commençant par V. C'est toujours le cas, deux ans plus tard !

«Mais ça prend 40 ans pour faire une édition du Dictionnaire! lâche Dany Laferrière. Nous faisons une cathédrale! Je respecte beaucoup le Larousse et le Robert, qui font une édition annuelle, mais nous sommes la matrice!» 

Une édition du Dictionnaire de l'Académie française est si longue à produire qu'aucun académicien n'a jamais pu assister à la fois à sa genèse et à sa publication. «Ainsi, il ne peut y avoir de vanité, dit Dany Laferrière. Personne ne peut dire: "J'ai fait une édition du Dictionnaire."»

«Les doléances et les plaisanteries que suscitent les lenteurs du Dictionnaire sont presque aussi anciennes que l'Académie elle-même», lit-on dans la préface de cette neuvième édition amorcée en 1986. 

Les travaux de la Commission du Dictionnaire de la langue française (créée en 1805) avancent à pas de tortue, car la dizaine d'académiciens qui en fait partie ne se réunit qu'une fois par semaine, durant trois heures, le jeudi matin. «C'est un travail collectif de fourmis qui se fait calmement et dans la courtoisie», dit Dany Laferrière. 

Cette Commission examine une partie du Dictionnaire tandis que l'ensemble des académiciens (34 personnes, car 6 sièges sont actuellement vacants) en examine une autre pendant la séance plénière d'une heure et demie, le jeudi après-midi. 

Le Dictionnaire de la langue française contient des éléments de grammaire et réserve une grande place à la littérature. «Quand Montaigne a employé un mot, même si le grand public ne l'emploie plus, on ne l'enlève pas du Dictionnaire, dit Dany Laferrière. L'idée est de retarder le moment où un grand livre devient si difficile à lire pour les contemporains qu'il faille le mettre en français moderne.» 

Dany Laferrière dit que, chaque année, une «hécatombe de mots» se produit, si bien qu'à un moment donné, on n'est plus capable de lire Rabelais dans son écriture originelle. «Si on continue comme ça, on n'arrivera plus à lire Rimbaud, dit-il. Ou il faudra de nombreuses notes en bas de page. Le Dictionnaire de l'Académie française permet de conserver la langue des écrivains. C'est fondamental.» 

Pour ses premières armes de coauteur du Dictionnaire de la langue française, Dany Laferrière s'était vu attribuer le mot «vaillant». Puis, il y a eu le mot «valeur». 

«"Valeur" est un mot très riche, surtout en ce moment. Il ne se pose plus comme avant. Aujourd'hui, c'est un mot lié à l'identité. On lui donne même des significations de droite alors que le mot lui-même n'a pas de signification politique. C'est un mot qui nous a valu beaucoup de discussions.» 

Dany Laferrière se souvient d'avoir eu bien du plaisir avec «vent». «Le mot paraît simple, mais il fait quatre pages dans le Dictionnaire, dit-il. Parce qu'il faut nommer tous les vents et, quand il y a des mots comme ça, je veille à ce que leur signification en Amérique du Nord et dans les Caraïbes soit prise en compte. Les origines des académiciens permettent d'éclairer le Dictionnaire et de le rendre moins hexagonal et plus universel.»

Les débats entre académiciens sont d'autant plus passionnants que ces amoureux de la langue ont tous leur propre histoire par rapport au langage. «Le professeur Marc Fumaroli est peut-être le plus grand spécialiste mondial du XVIIIe siècle sur la question de la conversation et de la rhétorique, dit Dany Laferrière. Il peut trouver une nuance à un mot et l'historien d'art Pierre Rosenberg en trouver une autre. Chaque académicien apporte un éclairage, ce qui donne au mot toute sa variété.»

Dany Laferrière adore cet exercice intellectuel. «C'est extraordinaire, dit-il. Je n'étais pas un fan du dictionnaire, même si je suis écrivain. Et là, je vois que le Dictionnaire de la langue française donne du subversif, ce que je soupçonnais! Car quand on connaît la signification des mots! Simplement savoir que l'origine du mot "travail" vient de torture, ça nous apprend bien des choses! Et que le mot "province" vient du latin pro victis, ce qui veut dire "endroit où l'on repousse les vaincus", on n'a pas envie de le savoir, vu qu'on est une province! Si les gens ouvraient le dictionnaire plus souvent, ils auraient ainsi accès au grand roman de l'aventure humaine. Là où l'on a caché toutes les significations secrètes de ce qui nous arrive...»

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Pour faire «bon usage» de la langue française et s'assurer d'utiliser le «mot juste», on peut consulter la rubrique Dire, ne pas dire publiée par l'Académie française, que l'on peut découvrir ici: http://academie-francaise.fr/dire-ne-pas-dire

Il est possible de poser des questions précises sur l'emploi d'un mot ou la signification d'une expression: http://academie-francaise.fr/questions-de-langue