Une lecture en islandais dans une librairie de Montréal? C'est le projet audacieux lancé par le directeur de La Peuplade, Simon Philippe Turcot, un «éditeur voyageur» qui a convaincu deux écrivains islandais de traverser l'Atlantique pour faire découvrir leur littérature au Québec.

Des auteurs venus du Nord

C'est dans le tout nouvel espace de la librairie Le Port de tête, inauguré à la fin du mois de mai sur l'avenue du Mont-Royal (juste en face du local d'origine), que les auteurs islandais Gyrðir Elíasson et Aðalsteinn Ásberg Sigurðsson se sont joints à leurs confrères québécois Chantal Neveu et Daniel Canty, cette semaine, pour une lecture de textes en français... et en islandais.

«La relation des Islandais avec le français passait toujours par la France, mais je trouvais que notre pays d'hiver et le leur pouvaient se retrouver sur plusieurs aspects, explique Simon Philippe Turcot. Ils sont les seuls à parler islandais - donc ils doivent protéger leur langue, c'est une société où les gens vivent beaucoup à l'intérieur, et dans nos littératures, il y a des thèmes qui se rejoignent», précise-t-il en revenant sur la genèse du projet.

Aðalsteinn Ásberg Sigurðsson, poète et éditeur de la maison d'édition islandaise Dimma, avec qui La Peuplade a tissé des liens, confirme qu'il existe un grand nombre de similarités entre les littératures québécoise et islandaise, mais également des différences. Chantal Neveu abonde dans son sens, tout en mentionnant à quel point le paysage notamment, tant chez les auteurs islandais que québécois, prend une dimension symbolique.

Un projet transatlantique

L'automne dernier, La Peuplade s'est rendue à Reykjavik avec trois de ses auteurs - Chantal Neveu, Daniel Canty et François Turcot - pour une série de lectures publiques bilingues et des ateliers croisés en compagnie de trois écrivains islandais (dont les deux présents à Montréal). «L'idée était de tenter de créer un pont, de construire un dialogue entre ces deux cultures» et de poursuivre ensuite l'aventure à Montréal, explique Simon Philippe Turcot.

Gyrðir Elíasson et Aðalsteinn Ásberg Sigurðsson devaient profiter de leur périple québécois pour ensuite se rendre à Québec et à Tadoussac, où ils allaient participer à des causeries sur la littérature islandaise.

«C'est par la littérature qu'on va apprendre finalement à quel point on se ressemble - ou pas», ajoute M. Turcot.

Le défi a été de travailler avec des textes déjà traduits en anglais, seule langue commune entre les auteurs, afin de préparer les lectures bilingues - qui se sont faites en français et en islandais dans les deux pays.

«C'est un peuple extrêmement curieux au niveau de la lecture», note Daniel Canty, qui a été fasciné de découvrir, dans les librairies islandaises, la richesse et la diversité des traductions offertes.

Oser la traduction au Québec

Animé par la passion du voyage et un goût du risque, Simon Philippe Turcot a lancé l'an dernier avec sa conjointe, l'éditrice de La Peuplade Mylène Bouchard, la collection «Fictions du Nord». L'objectif? Dénicher des perles rares, des «trésors cachés» de la littérature nordique - y compris du Grand Nord canadien et de l'Alaska - qui n'ont jamais été traduits en français et les faire vivre dans cette langue.

PHOTO NINON PEDNAULT, LA PRESSE

L'auteur, poète et éditeur islandais Aðalsteinn Ásberg Sigurðsson

Le couple a même poussé l'audace jusqu'à lancer ce projet sur la populaire plateforme de sociofinancement Kickstarter, afin de «sonder» l'intérêt des lecteurs pour une collection de livres nordiques. «Ce qui nous a stimulés, c'est surtout de voir le degré d'engagement des lecteurs. La réponse a été hyper positive, sinon je me serais peut-être posé des questions!», dit M. Turcot.

«Au Québec, on prend très peu de risques à publier des oeuvres en traduction», ajoute-t-il, précisant qu'à son avis, le voyage est un peu une extension du métier d'éditeur. «Je me suis dit: prenons des risques. On est jeunes, on a envie de voyager, et cette idée du Nord était déjà présente dans notre catalogue - on a publié Nirliit (de Juliana Léveillé-Trudel), Le poids de la neige (de Christian Guay-Poliquin), Frayer (de Marie-Andrée Gill).»

C'est ainsi qu'au fil de quelques voyages en Islande, le directeur de la maison d'édition installée à Chicoutimi a découvert le premier roman de Gyrðir Elíasson, publié en 1987 et jamais traduit en français avant de paraître à La Peuplade, en mars dernier. Un «bijou de l'imaginaire islandais», souligne l'éditeur, qui espère poursuivre la traduction des oeuvres de Gyrðir Elíasson.

Un roman... du Groenland

Après avoir révélé aux lecteurs québécois l'Islandais Gyrðir Elíasson et le Finlandais Aki Ollikainen (dont le roman La faim blanche était le premier titre de la collection «Fictions du Nord»), Simon Philippe Turcot est impatient de partager sa dernière trouvaille: le premier roman d'une auteure inuite du Groenland, Niviaq Korneliussen, qui a connu un grand succès au Danemark. Dans Homo sapienne, cinq jeunes de la communauté queer de Nuuk, la capitale groenlandaise, livrent leurs espoirs, leurs doutes et leurs craintes, raconte M. Turcot. Et grâce à La Peuplade, on pourra découvrir cette oeuvre en français dès octobre.

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Les auteurs Daniel Canty, Chantal Neveu, Gyrðir Elíasson et Adalsteinn Asberg Sigurdsson