Le chanteur Thomas Hellman vient d'entreprendre une tournée avec son spectacle Rêves américains, un voyage dans la mythologie américaine qui se promène entre le conte, le théâtre, la musique folk et la chanson. Il nous a parlé de sa vie en livres.

Votre premier souvenir de lecture?

«Ma grand-mère américaine, en visite à Montréal, nous lisait tous les soirs un extrait de Charlotte's Web, de E.B White, à mes trois frères et moi. C'était un rendez-vous incontournable, chaque journée que durait sa visite. On se blotissait tous les quatre autour d'elle sur le canapé du salon pour connaître la suite des aventures de Charlotte, la petite araignée. J'apprenais à lire et je me souviens que j'essayais de déchiffrer les mots sur la page pour deviner, à l'avance, ce qui allait arriver.»

Le livre qui a changé votre vie?

«The Gift de Lewis Hyde. Un des livres les plus marquants que j'ai lus. À mi-chemin entre une étude anthropologique, un traité littéraire et une oeuvre d'art. C'est surtout une réflexion profonde et complexe sur la créativité. Lecture difficile par moments, mais la difficulté même fait partie de l'expérience de lecture qui impose une certaine lenteur, un état de méditation, et qui s'apparente à une lente révélation. C'est un livre qui a une rare qualité: il éclaire sans apporter de réponses faciles, guide sans imposer de chemin. Je l'ai offert à beaucoup d'amis, artistes ou pas. Je ne comprends pas pourquoi ça n'a pas encore été traduit en français.»

Le livre qui est sur votre table de chevet en ce moment?

«Après l'élection de Trump, j'ai ressenti une grande lassitude et un certain dégoût de notre époque. Guidé par je ne sais pas quel instinct, je me suis mis à lire À la recherche du temps perdu de Proust, qui dormait depuis des années dans un coin oublié de ma bibliothèque. Ç'a été difficile, au début. J'avais l'impression qu'il fallait d'abord que je nettoie mon esprit saturé par le brouhaha ambiant. Puis je me suis mis à ressentir un plaisir fin et subtil à glisser les yeux le long de ces longues phrases à la musicalité si particulière. Le livre a quelque chose de profondément touchant: partir à la recherche du temps disparu est une noble quête, perdue d'avance. En ce moment, je lis quelques pages de Proust tous les soirs, avant d'aller me coucher. Je ne veux pas que ça finisse. Heureusement, c'est long. Très long.»

Le livre que vous relisez tout le temps?

«En ce moment, je replonge souvent dans le Walden de Thoreau, car le livre est au coeur de mon spectacle Rêves américains, de la ruée vers l'or à la grande crise. Le livre a été écrit à l'époque de la conquête de l'Ouest, quand naissait le mythe américain. Il est profondément ancré dans l'Amérique, et pourtant, il propose une vision totalement à l'opposé de celui de domination, de conquête, d'obsession de l'argent et du pouvoir qui triomphe aujourd'hui. Il parle de contemplation, de simplicité, de la poursuite de l'essentiel. C'est une source importante de sagesse.»

Le livre que vous n'avez jamais lu, vous ne savez pas pourquoi?

«Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez. Le livre repose dans ma bibliothèque, pas trop loin de là où a longtemps reposé Proust... On parle souvent de notre relation avec les livres que l'on lit, mais il y a quelque chose qui se joue avec ceux que l'on laisse dormir tranquillement et qu'on ne lit pas, un lent processus d'apprivoisement. Et puis un jour, par hasard, ou par aboutissement d'un long processus intérieur et souterrain, le contact se fait, on ouvre le livre. Je n'ai pas lu Cent ans de solitude, mais j'aime sa compagnie. Notre temps viendra.»

Le livre que vous avez l'intention de lire ce printemps?

J'ai l'intention de lire le nouveau livre de Philippe Arseneault, Ma soeur chasseresse. Les critiques m'intriguent. Et j'avais été impressionné par son Zora, paru il y a quelques années. Il y a aussi l'auteure Rebecca Solnit que j'ai découverte récemment et que j'adore. J'ai lu deux de ses livres et j'ai envie de lire le reste.