L'automne est la saison des prix littéraires. Or, au Québec, pour ceux qui remportent les distinctions les plus prestigieuses, cette reconnaissance n'équivaut pas nécessairement à un succès commercial.

La Presse a rencontré les six plus récents lauréats du Prix du Gouverneur général dans la catégorie romans et nouvelles pour savoir quel impact la distinction avait eu sur leur carrière. Portraits d'auteurs aux réalités diamétralement opposées.

La «rock star»: Kim Thúy, la tête dans les nuages

Elle revient tout juste du Japon, où elle était partie après un voyage en Suède, et se prépare à s'envoler pour la France. Kim Thúy, frénétique et pétillante, raconte ses six dernières années avec l'énergie d'un papillon qui ne se repose jamais.

Il y a six ans, elle a remporté le Prix du Gouverneur général pour Ru, son premier roman. Quand le Conseil des arts du Canada l'a appelée pour lui annoncer qu'elle était en nomination, on a d'abord dû expliquer à cette écrivaine, qui vit confortablement de sa plume depuis quelques années (une espèce rare dans le monde littéraire), ce qu'était ce prix. Puis, quand on lui a finalement annoncé qu'elle était lauréate, elle a cru qu'on lui tendait un piège.

«Au départ, avec ce second appel, j'ai demandé à la personne ce que voulait dire le mot "lauréat". Je ne connaissais pas ce mot! Elle devait penser que je la niaisais... Mais en fait, c'est moi qui croyais qu'on me niaisait! J'étais sûre que c'était Les Grandes Gueules qui me faisaient une blague. Ça me flattait. Je me trouvais chanceuse qu'on fasse une joke sur moi», raconte Kim Thúy.

Une carte de visite

Contrairement à d'autres prix comme le Goncourt, en France, ou le Giller, au Canada anglais, être honoré par le Gouverneur général est d'abord une question d'estime et de prestige, explique l'auteure québécoise d'origine vietnamienne.

«C'est aussi une carte de visite que l'on traîne, qui nous donne de la crédibilité.»

«Je reviens d'un voyage au Japon où j'étais invitée par une association universitaire de littérature québécoise à Tokyo. Quand la professeure m'a présentée en mentionnant le prix, c'est clair que ça sonnait bien. Les étudiants n'ont aucune idée c'est quoi. Il ne savent pas qui est le gouverneur général, mais ça sonne gros», raconte l'auteure en éclatant de rire.

Contrairement à une majorité écrasante d'auteurs qui doivent cumuler les contrats pour vivre, Kim Thúy jouit d'une popularité commerciale internationale, ce qui a transformé sa vie en celle d'une «rock star».

«Dans les six derniers mois, j'ai visité 13 pays et 25 villes. Après le lancement de Vi, [son plus récent roman, lancé au printemps], j'ai pris neuf fois l'avion en 14 jours. Ce que je vis en ce moment, c'est comme un bonus. C'est du bonbon, mais ça va finir. Je mange du bonbon depuis six ans, je vais finir diabétique!», dit-elle en rigolant.

Kim Thúy ralentira-t-elle vraiment ses activités? À en croire son horaire, rempli jusqu'en 2018, et en considérant que notre entrevue s'est déroulée devant une doctorante d'origine chinoise de l'Université de l'Ohio, aux États-Unis, qui s'est déplacée jusqu'à Montréal pour la rencontrer, l'idée semble se rapprocher plus de la fiction que de la réalité.

Les exceptions: Vivre de sa plume, envers et contre tous

Vivre de sa plume, c'est vivre de façon modeste, s'entendent pour dire Perrine Leblanc et Nicolas Dickner, qui ont gagné le Prix du Gouverneur général pour les romans L'homme blanc, en 2011, et Six degrés de liberté, en 2015, respectivement.

«Je réussis à vivre de ma plume, ce qui fait de moi une exception dans le paysage littéraire québécois, dit Nicolas Dickner, qui a publié son premier roman, Nikolski, en 2005. Il y a eu depuis des bonnes et des mauvaises années, mais quand on vit de l'écriture, il ne faut pas s'attendre à avoir de grandes conditions de vie.»

«Je vends des livres au Québec, en France et au Canada anglais», explique Perrine Leblanc en entrevue depuis l'Irlande, où elle se trouve en voyage d'exploration pour sa prochaine quête littéraire.

«Depuis deux ans, je peux vivre de ma plume, mais je vis modestement. J'ai besoin de l'aide de l'État, notamment avec les bourses d'écriture, puisque j'écris un livre tous les deux ou trois ans», estime Perrine Leblanc.

Selon une étude publiée par l'Observatoire de la culture et des communications du Québec, fondée sur des données de 2008, les deux tiers des quelque 1500 écrivains québécois tirent moins de 5000 $ de leur plume par année, alors qu'ils ne sont qu'une trentaine à avoir un revenu de création littéraire supérieur à 60 000 $.

«C'est difficile de faire un portrait des conditions de vie des écrivains, car nous avons tous des réalités différentes, explique Nicolas Dickner. Ce qui est commun, toutefois, c'est la difficulté à planifier sur le long terme. Moi, je peux faire des projections sur environ deux ans, sans plus. Il n'y a pas de stabilité.»

«Quand tu appliques à une bourse qui doit normalement durer un an, l'objectif caché est de l'étirer sur deux ans. On étire une sauce qui n'est déjà pas très riche.»

La reconnaissance ultime

Si le Prix du Gouverneur général est accompagné d'une somme de 25 000 $, c'est davantage la reconnaissance des pairs qui accompagne ces honneurs qui marque les écrivains, croient Perrine Leblanc et Nicolas Dickner.

«Pour ma part, gagner ce prix a changé énormément de choses, affirme Perrine Leblanc, dont L'homme blanc était le premier roman. D'abord, il y a la bourse. C'est du temps pour écrire. Ensuite, j'ai reçu plusieurs offres sérieuses d'éditeurs du Canada anglais. Le prestige du Prix du Gouverneur général m'a permis de signer plusieurs contrats de traduction.»

«Depuis des années, je regardais ça comme le sommet à atteindre, raconte pour sa part Nicolas Dickner. Quand tu y arrives et que tu l'obtiens, il y a une énorme vague médiatique. C'est très excitant, mais la poussière retombe. Au Québec, aucun prix ne change une carrière de façon permanente. Les prix littéraires n'occupent pas ce genre de place dans notre espace culturel.»

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Perrine Leblanc a remporté le Prix du Gouverneur général pour L'homme blanc en 2011.

Les tenaces: Auteures et autres tâches connexes

Andrée A. Michaud, France Daigle et Stéphanie Pelletier sont trois auteures dont le talent a été reconnu par le Prix littéraire du Gouverneur général. Mais malgré ce succès d'estime, elles doivent toujours cumuler contrats et «jobines» pour arrondir leurs fins de mois.

Prenant une pause dans une longue journée de révision linguistique, Andrée A. Michaud, qui a remporté le prix une première fois en 2001, puis une seconde fois en 2014 pour son roman Bondrée, se compte chanceuse d'avoir des contrats à la pige, sans quoi elle ne pourrait écrire.

«C'est ça qui me permet de survivre. En combinant la révision linguistique aux bourses, j'y arrive. Sinon, j'aurais déclaré forfait», affirme celle qui a publié une vingtaine de romans dans sa carrière.

France Daigle, une Acadienne qui habite au Nouveau-Brunswick, a longtemps travaillé à Radio-Canada, en plus de signer une chronique dans le journal Acadie Nouvelle, en même temps qu'elle écrivait. Cela fait toutefois 10 ans qu'elle n'occupe plus un poste à temps plein.

«Il y a deux ans, je suis quand même allée me trouver un travail dans un centre d'appels. Par moments, on n'a pas le choix: il faut aller sur le marché et se trouver une job», explique-t-elle.

Confirmer son talent

Quand elle a remporté le Prix du Gouverneur général en 2012 pour son roman Pour sûr, France Daigle l'a vécu comme la «cerise sur le sundae» qui venait confirmer qu'elle pouvait se dire à son tour écrivaine.

«C'était 10 ans de travail, alors évidemment, quand c'est couronné, on se dit qu'il y a une justice! Pour moi, ça a confirmé quelque chose.»

«Je trouve que se dire écrivain, ce n'est pas rien. Ce n'est pas quelque chose que tu fais après avoir écrit trois livres», résume l'auteure.

Stéphanie Pelletier a remporté le Prix du GG en 2013 pour Quand les guêpes se taisent. Son arrivée dans le monde littéraire, encouragée par Yvon Rivard, conseiller littéraire chez Leméac, a été «une surprise», dit-elle.

«Il m'a dit: "Qu'est-ce que tu attends pour publier un livre?" C'est là que j'ai réalisé que c'était peut-être plus simple que je le pensais et que j'en étais capable», raconte celle qui, en plus d'écrire, vit de contrats et dirige un organisme qui fait des spectacles littéraires.

«Pour moi, écrire, c'est comme un continuum. Je veux faire ça toute ma vie.»

Photo Marco Campanozzi, archives La Presse

Andrée A. Michaud