Depuis de nombreuses années, plusieurs de nos écrivains québécois ont installé leurs histoires dans le Grand Nord québécois. C'est particulièrement vrai cet automne, alors que sont publiés un récit de Kathleen Winter, Nord infini, et deux romans, Nirliit de Juliana Léveillé-Trudel et Nord Alice de Marc Séguin. Entrevue, critiques et survol de quelques publications «nordiques» récentes.

Kathleen Winter: mouvements tectoniques

Les voyages forment la jeunesse, toutes les jeunesses. Les écrivains partagent un regard jeune sur le monde. C'est dans cet esprit que Kathleen Winter a découvert le «passage du Nord-Ouest» en 2010. Ce voyage a changé sa vie. Nord infini raconte cette transformation survenue dans un territoire sans limites.

Kathleen Winter aborde avec grâce le continent des convictions. L'écrivaine anglo-montréalaise n'est plus la même depuis qu'elle a visité l'Arctique en 2010, un périple de deux semaines qui a servi d'inspiration à son récit Nord infini.

Elle ne pourra plus jamais écrire de la même façon, dit-elle, comme si des plaques tectoniques intérieures avaient bougé.

«Ce que j'ai ressenti n'a rien de nouvel-âgeux. Là-bas, il n'y a pas d'interférence entre la terre et l'humain. Ce territoire m'a parlé d'une façon très terre à terre: "Nous ne sommes qu'un, nous sommes ensemble." Et il faut le dire. Je me dois de le dire.»

Kathleen Winter avoue qu'elle n'a pas l'âme militante. Son domaine est celui des mots, du lyrisme, de la poésie.

«Ce n'est pas ma force, le militantisme, mais je ne peux plus écrire de roman, de la poésie ou d'autres textes comme si rien ne s'était passé.»

En 2010, elle a été invitée, comme «écrivaine en résidence», à bord d'un navire russe qui faisait la traversée du «passage du Nord-Ouest» du Groenland à la Terre de Baffin. Avec d'autres «touristes», certains plus spécialisés que d'autres en nordicité, elle découvrira les réalités diverses d'un peuple et d'un territoire «infinis».

«En surface, il semble que les Inuits au Groenland vivent mieux qu'au Canada, mais Aaju Peter [l'une des deux Inuites participant au voyage] parle de choses qu'on ne peut pas voir, nous, dans le Sud. En hiver, la sécurité alimentaire est assurée par la communauté à travers le partage. Ce n'est pas la nourriture du Sud qui les fait vivre. Des céréales chimiques y sont vendues à 125 $, alors qu'elles coûtent 5 $ ici. La subvention fédérale qui dit subvenir à leurs besoins ne leur apporte que de la nourriture sans nutriments, faite par des multinationales.»

Migrants

Tout au long de cette navigation émouvante, les questionnements émergent tels des icebergs dans la tête de l'écrivaine et du lecteur. On sent l'auteure déchirée dans son journal de bord entre la beauté du paysage et les conditions de vie difficiles.

Fille d'immigrants anglais venus s'établir au Canada et ayant longtemps vécu à Terre-Neuve, Kathleen Winter a compris qu'elle ne pouvait plus n'être qu'une observatrice de sa société d'accueil. Son récit se densifie d'informations historiques pertinentes.

«L'un des problèmes de notre société est notre acceptation tacite de choses terribles, notre refus de lever le voile sur des réalités périphériques. C'est comme si on ne voulait pas les voir. Quand j'ai commencé à écrire, j'avais un style lyrique. Je décrivais ce que je voyais. Le livre commence sur la beauté du paysage.»

«C'est magnifique, mais j'ai vu très vite les pouvoirs et les forces en place qui ravagent le territoire comme partout ailleurs.»

Certains critiques anglophones ont qualifié son récit de «roman non fictif». Elle aime bien, puisque les mots importent. Ils colportent des préjugés, des attitudes, des comportements.

«Prenons le mot Nord-Ouest, par exemple. C'est au nord-ouest de quoi, exactement ? Bernadette Dean [l'autre voyageuse inuite] m'a fait comprendre qu'il n'y a pas de telle chose en inuktitut. C'est l'explorateur John Franklin et ses hommes qui ont créé ce mot.»

Ottawa

Ce voyage l'aura transformée autant comme être humain que comme écrivaine. Les Inuits, les artistes, même combat?

«Nous sommes certainement attaqués par le gouvernement du Canada et une vision des affaires coûte que coûte. Si les artistes et les visionnaires ne le disent pas, qui le fera? Le gouvernement doit investir dans les arts pour que ce ne soit pas un fabricant d'armes qui vend à l'Arabie saoudite qui le fasse. Il faut s'impliquer. C'est le territoire qu'il faut investir maintenant.»

Elle, qui est retournée dans l'Arctique voir les monts Torngat l'été dernier, cherche un nouveau passage, celui de l'écriture engagée. Le «Nord-Ouest» comme état d'esprit en fera partie, un Nord pas nécessairement au nord.

«Je ne peux plus écrire séparée du Nord ou d'une autre partie du monde qui parle à travers son paysage et sa vibration. Je veux aller dans de tels endroits.»

Elle dit lire beaucoup en ce moment. Elle a besoin de se refaire une tête, de se nourrir intellectuellement avant de monter au combat. D'une façon ou d'une autre, puisqu'elle ne peut plus être «poète de la paix après ça».

«Je n'ai pas de plan. Ça ne me dérange pas si je n'écris jamais d'autre livre. Je veux attendre d'avoir quelque chose à dire. Je me prépare, je suis consciente, je regarde derrière le voile. Un jour, peut-être, il y aura un élément catalyseur.»

Nord infini. Kathleen Winter. Traduction de Sophie VoillotBoréal, 322 pages.

PLAN NORD

Le Nord inspire les gouvernements, les entreprises et les artistes. Pas de la même façon, évidemment. L'eldorado nordique n'a plus rien à voir avec le monde que décrivait Yves Thériault dans Agaguk non plus.

Littoral

Cette publication du Groupe de recherche sur l'écriture nord-côtière (GRENIOC) célèbre ses 10 ans avec un numéro spécial sur l'écriture innue composé de textes inédits de Joséphine Bacon, Rita Mestokosho, Naomi Fontaine et Natasha Kanapé Fontaine, notamment. La revue de 200 pages comprend aussi des entrevues bien menées et des dossiers sur l'enseignement de la littérature, la chanson et la vidéo innues. Comme quoi il s'agit d'une culture tout à fait actuelle et bouillonnante!

Qingaujaaluk

Cet ouvrage de près de 600 pages n'a pas d'ambition littéraire, mais il raconte le Nord avec la grande sensibilité d'un médecin traitant des maladies comme le botulisme causé par la consommation de viande de baleine. Normand Tremblay parle de magnifiques paysages et de personnages et d'animaux tout aussi impressionnants. Il s'attaque aussi à la bureaucratie québécoise en matière de santé, muni d'une expérience intime de plus de 30 ans avec les Inuits, auxquels ce livre est dédié. Aux Éditions GID.

Les Inuits résistants!

La correspondante du quotidien Le Monde au Canada, Anne Pélouas, dresse les lignes de vie du peuple inuit dans ce petit livre qui comporte des foules de renseignements pratiques. De courts textes et des entrevues - enjeux politiques et environnementaux, personnalités publiques, la culture et la santé - parcourent l'ouvrage doté d'un style journalistique. Publié par les ateliers Henry Dougier (fondateur des éditions Autrement).

QUELQUES LIVRES NORDIQUES

Au cours des dernières années, plusieurs romanciers québécois ont installé leurs histoires dans le Grand Nord. En voici une sélection non exhaustive.

> Polynie, de Mélanie Vincelette (Robert Laffont, 2011)

C'est le Grand Nord qui est le personnage principal du deuxième roman de l'éditrice de Marchand de feuilles. Elle campe avec poésie et érudition un Nord moderne et magnifié, qui parle aussi de la réalité des Blancs vivant là-bas. (Josée Lapointe)

> Traité des peaux, de Catherine Harton (Marchand de feuilles, 2015)

Finaliste au prix du Gouverneur général, ce recueil de nouvelles de la poète Catherine Harton s'intéresse au passage de la tradition à la modernité, tant au Groenland que dans le Grand Nord québécois. Un livre beau et douloureux. (J.L.)

> Le chant de la terre innue, de Jean Bédard (VLB, 2014)

Ce conte nous transporte dans les terres et les traditions ancestrales de peuples autochtones en retraçant le destin d'une jeune femme qui apprend à survivre dans des contrées inhospitalières. Le deuxième volet de ce cycle, Le chant de la terre blanche, vient tout juste de paraître. (Laila Maalouf)

> L'accoucheur en cuissardes, de Jean Désy (XYZ, 2015)

Ce n'est pas un roman, plutôt un récit très instructif du médecin-écrivain Jean Désy, qui a pratiqué sur la Côte-Nord et dans le Nunavit. Côtoyer les Innus et des Inuits l'a conforté dans sa vision d'une médecine globale et collective, et les paysages grandioses continuent de le nourrir. (J.L.)

> Je suis une pierre brûlante, de Vania Jimenez (Druide, 2013 et 2014)

L'auteure s'est inspirée de sa propre expérience de médecin dans le Grand Nord pour raconter les épreuves d'une Montréalaise dans une maternité aux côtés de femmes inuites. La première partie de ce roman est parue en octobre 2013, la seconde en avril 2014. (L.M.)

> Histoires nordiques, de Lucie Lachapelle (XYZ, 2013)

L'auteure s'est inspirée de son expérience de professeure dans le Nunavit en 1975 pour écrire ce recueil. On y suit Louise, enseignante venue du Sud, dans sa découverte d'une région, de ses paysages beaux et dangereux et de ses gens qui se laissent découvrir. La finale de ce livre très humain est bouleversante. (J.L.)

> Le retour de l'ours, de Catherine Lafrance (Druide, 2013)

Dans cette fable post-apocalyptique, le patriarche d'une petite communauté du Grand Nord vient annoncer aux siens le retour de Nanuk, l'ours polaire. Présage de grands bouleversements, la nouvelle provoque la zizanie au sein du village, au coeur de laquelle sera propulsée la jeune Sakari. (Sylvain Sarrazin)