Intitulé Un bonheur presque parfait et lancé partout aujourd'hui, le septième volume des Nombrils figure au top 10 des bandes dessinées francophones tirées à plus de 100 000 exemplaires cette année, aux côtés d'Astérix et de Titeuf. Entrevue avec les bédéistes québécois Delaf&Dubuc, rencontrés avant leur départ pour l'Europe.

C'est subtil, cela peut même sembler carrément superficiel: dans Un bonheur presque parfait, septième volume de la BD Les Nombrils, les cheveux de l'égocentrissime ado Vicky ne sont plus relevés en longue mèche «cartoonesque» loin au-dessus de la Terre et de ses réalités. Ils retombent (parfois) sur ses épaules, simplement, et témoignent, l'air de rien, que la loi de la gravité - dans tous les sens du terme... - s'applique aussi désormais à l'insupportable «Barbie» de famille aisée.

«Dans tous nos albums, le thème principal a toujours été la lutte entre le coeur et la tête», explique Maryse Dubuc (alias Dubuc, aux textes), aux côtés de Marc Delafontaine (Delaf, aux dessins). «Dans les quatre premiers, on a connu les personnages dans la première partie de leur adolescence, c'était donc plus léger, cette lutte. Le cinquième et le sixième changeaient de ton parce qu'on entrait peu à peu dans la deuxième partie de l'adolescence, poursuit-elle. Mais là, dans le septième, elles ont 16 ans. Elles préparent leur vie adulte et elles réalisent qu'elles ont des choix à faire, qui auront des conséquences à long terme. Leurs valeurs sont remises en question. C'est vraiment une lutte entre la raison et les émotions.»

«Particulièrement pour Vicky, dit Dubuc, je dirais même que c'est l'album de Vicky. On a toujours senti sa méchanceté, on a peu à peu expliqué d'où cela venait. Mais c'est la première fois qu'elle est vraiment ébranlée dans ses certitudes. Sa famille, sa vie intime, ses choix, tout est remis en question...» Comme c'était le cas pour Karine dans les six premiers volumes de cette incroyable BD qui a, ô bonheur, initié une foule de filles aux joies infinies du 9e art.

Holà, se disent les fans, devient-on sérieux? Pantoute. Enfin, presque pas pantoute. On rit aux éclats devant les faux pas de Jenny (non, la poupoune numéro 1 ne devient pas plus intelligente), les paradoxes de Vicky (non, la poupoune numéro 2 ne devient pas beaucoup plus authentique) et les questionnements de Karine (non, l'ex-faire-valoir des poupounes numéro 1 et 2 ne devient pas beaucoup plus sûre d'elle).

En fait, on rit autant que lorsqu'on a lu les volumes 5 et 6 des Nombrils (Un couple d'enfer en 2012 et Un été trop mortel en 2013): Delaf&Dubuc avaient pourtant amorcé là un virage dramatique (avec rien de moins que de l'intimidation, un «suicide» et un tueur en série!). Virage qui, paradoxalement, rendait parfois encore plus drôles les réparties et gestes des trois meilleures «amies ennemies».

PHOTO FOURNIE PAR L'ÉDITEUR

Les Nombrils, volume 7, Un bonheur presque parfait. 

Burlesque et méchanceté

Cet amalgame de burlesque et de méchanceté assumée, campé dans le monde des adolescentes, c'est ce qui a séduit immédiatement le grand éditeur français Dupuis, il y a près de 10 ans. Et l'audace des deux bédéistes, qui ont décidé de faire «vieillir» peu à peu leurs héroïnes, c'est ce qui l'a séduit encore plus, au fil des ans. Lui, mais aussi un public de plus en plus large, dont des milliers de fans qui alimentent constamment les blogues et pages Facebook consacrés aux Nombrils et à leurs acolytes: Albin, Jean-Franky, Mégane, James... Pour bien comprendre les rapports entre tous ces personnages, Delaf&Dubuc ont carrément intégré une manière d'arbre généalogique, en forme de tableau noir! Et même de deux tableaux noirs...

En lisant Un bonheur presque parfait, impossible, donc, de ne pas s'esclaffer en «lisant» le «dialogue» sans paroles de la page 24 («Ça faisait depuis le volume 4 qu'on n'avait pas pu intégrer un gag muet», dit Maryse Dubuc) ou les échanges entre les petits êtres qui incarnent les émotions de Jenny dans son cerveau: «On les avait dessinés avant que ne sorte le film Sens dessus dessous», tient à préciser Marc Delafontaine, un brin déconfit. Qu'il se rassure: si les personnages-émotions de Sens dessus dessous sont effectivement marquants, pas l'un d'entre eux ne porte un string apparent sous une minijupe, comme TOUS ceux de Jenny! Ce n'est rien, attendez de voir ce que le «lèche-pianiste» signifie vraiment...

N'empêche qu'il est aussi question dans ce septième album de dépression grave, de sexisme outré, de divorce violent, de choc post-traumatique, de familles dysfonctionnelles et de relations amoureuses qu'on entretient pour sauver les apparences!

Et dire que tout cela naît dans une petite maison calme, dans les Cantons-de-l'Est, où Maryse Dubuc et Marc Delafontaine travaillent presque sans cesse à la réalisation de leurs albums: chacun dans leur bureau, il leur arrive même de communiquer par... Skype pour s'assurer que tel ou tel gag, telle ou telle répartie fonctionnent!

Irrévérence assumée

Si les propos des Nombrils sont iconoclastes, leur succès tient aussi au respect de certaines règles classiques de la BD. Par exemple, l'échange de coups et de gifles, comme seule une bande dessinée ou un dessin animé peut le permettre: «Depuis les débuts, ça fait partie du mode «une planche, un gag» de la série [donc une histoire complète par page], qui nous impose souvent de recourir à des «punchs», littéralement, pour les boucler, dit Delaf.

«Mais je pense aussi que c'était quelque chose qu'on avait envie de faire dès le début avec la série, reprend-il, c'était ce qu'on retrouvait dans les vieux dessins animés japonais qu'on regardait enfants, genre Demetan la petite grenouille [dessin animé japonais des années 70]. On a revu le premier épisode dernièrement et c'est encore pire que dans mes souvenirs, le nombre de baffes qui s'échangeaient!»

Un peu comme dans les dessins animés de Bugs Bunny ou du Roadrunner, où le coyote se faisait taper dessus systématiquement. Sans oublier les indispensables batailles de village dans Les aventures d'Astérix le Gaulois. Sauf que, dans Les Nombrils, ce sont de jeunes filles qui se filent et reçoivent des baffes parfois monumentales: «Je pense que cette irrévérence, particulièrement aujourd'hui, nous plaisait bien, conclut Delaf, ça participe de la catharsis que suscite Les Nombrils, c'est vraiment pas «politiquement correct! "»

Ce type de gags, on va certainement le retrouver dans les deux films qui devraient être tirés des Nombrils. D'une part, un film «live», avec de vrais acteurs, encore en préconception, qui devrait s'inspirer des quatre premiers volumes et sera réalisé en France (une coproduction MediaBiz et Les Armateurs). D'autre part, un film d'animation conçu ici et dont Delaf, Dubuc et François Avard viennent de terminer le scénario.

En attendant, Karine, Vicky et Jenny sont enfin de retour sur papier. En 50 pages et sous couverture glacée. Comme dirait Jenny: «Haut Maille Gode!»

Les 10 plus gros tirages de BD de 2015

1. Astérix, volume 36, Le Papyrus de César : 1 800 000 exemplaires (sortie le 22 octobre)

2. Titeuf, volume 14, Bienvenue en adolescence ! : 500 000 exemplaires (sortie le 27 août)

3. Lou! volume 7, La Cabane : 350 000 exemplaires (sortie le 25 novembre)

4. Le Chat, volume 20, Le Chat fait des petits : 320 000 exemplaires (sortie le7 octobre)

5. Corto Maltese, volume 13, Sous le soleil de minuit : 300 000 exemplaires (sortie le 30 septembre)

6. Largo Winch, volume 20, 20 secondes : 300 000 exemplaires (sortie le 20 novembre)

7. XIII Mistery, volume 9; Felicity Brown: 250 000 exemplaires (sortie le 9 octobre)

8. Les Légendaires, volume 18, La fin de l'histoire : 200 000 exemplaires (sortie le 23 

septembre)

9. Les Légendaires origines, volume 4, Shimy : 180 000 exemplaires (sortie le 18 novembre)

10. Les Nombrils, volume 7, Un bonheur presque parfait : 170 000 exemplaires (sortie le 4 septembre).