Grandir à la campagne en Ontario, dans un village où les femmes lisaient et racontaient davantage d'histoires que les hommes, a donné à l'écrivaine Alice Munro la confiance pour écrire et nourrir un don qui serait, des années plus tard, reconnu partout dans le monde et récompensé d'un prix Nobel de littérature.

«Je ne pense pas que j'aurais été aussi courageuse en tant qu'écrivaine si j'avais vécu en ville et que j'étais allée à l'école avec d'autres personnes qui étaient intéressées par les mêmes choses que moi, qui avaient ce qu'on pourrait appeler un niveau culturel plus élevé», a-t-elle confié dans une entrevue à l'Académie suédoise qui lui a remis le prix Nobel cette année.

«Je n'avais pas à faire face à ça. J'étais la seule personne qui écrivait des histoires, bien que je ne les racontasse à personne. Dans ma tête, j'étais la seule personne qui faisait ça dans le monde pour un bon moment.»

À 82 ans, trop malade pour se déplacer à Stockholm pour recevoir sa récompense, Mme Munro a préenregistré cette entrevue depuis sa maison à Victoria, en Colombie-Britannique. La vidéo a été diffusée samedi, à la place de l'habituelle conférence du lauréat. Alice Munro est la 110e récipiendaire du prix Nobel de littérature, la 13e femme et le premier auteur habitant au Canada à l'obtenir.

La cérémonie de la remise du prix Nobel de littérature se déroulera mardi en présence de la fille d'Alice Munro, Jenny.

«Je vivais dans une région de l'Ontario où c'était surtout les femmes qui lisaient et racontaient des histoires. Les hommes étaient à l'extérieur, occupés par des choses importantes et ils ne rentraient pas pour les histoires», a-t-elle dit.

«Je ne savais pas que j'avais besoin de quelque inspiration. Pour moi, les histoires étaient tellement importantes dans le monde que je voulais en écrire quelques-unes, et je veux continuer à faire ça.»

Mme Munro a aussi confié qu'elle ne racontait ses histoires à personne, pas même à sa mère, qui lisait.

«D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours composé des histoires. Je ne les écrivais pas sur papier, mais je les racontais, non pas à (ma mère) ou à quiconque, mais à moi. La plupart des gens autour de moi ne savaient pas que je voulais être écrivaine, parce que je m'arrangeais pour ne pas qu'ils le sachent. Ç'aurait été ridicule pour beaucoup, car la plupart des gens ne savaient pas lire.»

À cette époque, a-t-elle affirmé, le monde de l'écriture et de la lecture était plus accessible aux femmes, plus enclines à être lettrées et à devenir enseignantes, qu'aux hommes, qui travaillaient sur la ferme. Son premier mari l'a d'ailleurs poussée à suivre ses pulsions créatrices.