La première défaite est la chronique lancinante d'une peine d'amour qui s'étire sur quatre ans et 630 pages. Avec cette suite de Premier amour, l'écrivain, cinéaste et scénariste franco-argentin Santiago H. Amigorena continue son oeuvre autobiographique singulière qui explore en profondeur les sentiments humains.

Il a écrit une vingtaine de scénarios, dont celui du Péril jeune de Klapish, et réalisé ses propres films (Quelques jours en septembre, avec Juliette Binoche). Mais Santiago H. Amigorena affirme qu'il est venu au cinéma au début des années 90 pour gagner sa vie et que son occupation principale reste la littérature. La première défaite lui a demandé cinq ans de travail, mais jamais il ne s'est rendu compte que le résultat allait compter 630 pages. «J'écris à la main, très petit, et ça a toujours l'air court. Ce livre, il tient en 27 feuilles manuscrites!»

Rencontré lors de son passage au Salon du livre en novembre, Santiago H. Amigorena explique cela de sa voix douce teintée d'un léger accent espagnol - né à Buenos Aires en 1962, il vit en France depuis une trentaine d'années. Cette autobiographie inventée, c'est le projet d'une vie: au départ, il s'était imaginé publier entre 3000 et 4000 pages d'un coup, mais il ne se sentait pas la force «d'écrire seul». Rien de mieux alors qu'un éditeur pour mettre un point final aux différentes parties de son oeuvre amorcée en 1998. La première défaite en est la cinquième.

Le premier amour parlait de la passion du tout jeune narrateur pour une comédienne, Philippine, et se terminait par leur rupture. La première défaite raconte les séquelles de cette rupture, semaine par semaine, mois après mois: rarement a-t-on vu quelqu'un explorer le sentiment de perte avec une telle précision. «Je voulais écrire sur l'abandon, d'une manière un peu radicale où on se perd soi-même dans la perte de l'autre et où il faut aller chercher très loin pour être à nouveau quelqu'un.»

Bonheurs et malheurs

L'auteur a beaucoup de sympathie pour l'intensité de l'adolescence, mais admet que quatre ans pour une peine d'amour, «c'est un long atermoiement». «Est-ce que le monde serait pire ou mieux si tout le monde faisait ça? Je ne sais pas... L'essentiel, et c'est ce qu'apprend le narrateur, c'est qu'on peut vivre de grands malheurs et de grands bonheurs en même temps, pas nécessairement un après l'autre. Il faut se rendre compte de la beauté des choses, puis de la douleur que ces choses ne soient pas éternelles. La vie est plus profonde dans la conscience des extrêmes.»

Ce narrateur «graphomane» qui écrit compulsivement découvre aussi que tout cela pourra peut-être faire de lui un écrivain.»Un narrateur qui n'est pas moi. Je ne dis jamais que je suis écrivain, je suis quelqu'un qui écrit.» Car même si son oeuvre a toutes les apparences du journal intime, Santiago H. Amigorena aime bien affirmer que ce qu'il écrit «n'est pas vrai» - il apprécie d'ailleurs beaucoup l'imparfait du subjonctif, parce qu'il «laisse les choses en suspens».

«La fidélité avec mes souvenirs n'est pas le critère qui me permet de choisir les épisodes ou les détails - j'en invente plein, des détails. Premier amour, par exemple, c'est beaucoup plus un livre sur ma relation avec la mère de mes enfants qu'avec Philippine. Je mens tout le temps en essayant de concentrer tout ce que je peux dire sur l'amour et la perte.»

La première défaite est aussi un roman sur les années 80, portrait grisâtre d'une époque en crise culturelle, sociale et économique. Santiago H. Amigorena constate que «ce qui a été perdu pendant ces années est continuellement perdu depuis» et ne sait pas combien de temps durera ce «moyen âge». Plutôt pessimiste... «Dans une période comme la nôtre, il n'y a pas une inscription très claire des oeuvres dans le temps, mais ce n'est pas un drame. Il faut l'accepter comme elle est, absolument éclatée, et c'est seulement dans 300 ans qu'on pourra dire ce qui aura eu plus de poids.»

Lui, en tout cas, ne se préoccupe pas de son impact présent ou futur, mais il a conscience de tous ceux qui sont passés avant lui. «La seule position qu'on peut avoir par rapport à la modernité, c'est d'essayer d'être de son époque sans faire comme si Proust n'avait jamais existé. C'est plus simple pour plusieurs, mais si j'agissais comme ça, je me sentirais coupable d'une forme de traîtrise.»

Extrait

«Tout au long de la première année de la première défaite, les sentiments alternaient dans un présent encore plus insaisissable une suite irrationnelle d'instants où les revirements étaient aussi violents, aussi radicaux que les changements climatiques des quarantièmes rugissants.»

La première défaite Santiago H. Amigorena P.O.L., 633 pages