Avant de publier son premier roman en 2003, R.J. Ellory en a écrit 22 autres... qui lui ont valu quelque 600 lettres de refus. Pas assez pour le décourager. Rencontre avec le maître du slow-motion thriller.

Aux yeux de R.J. Ellory, il existe trois livres: «Le page turner, une histoire que vous lisez pour le revirement final et que vous oubliez tout de suite après. La fiction littéraire, où l'auteur passe le plus de temps possible à travailler la manière de dire les choses et que vous lisez parce que vous aimez le goût de ses mots. Et le classique, ce livre si fascinant que vous ne pouvez le lire assez vite, mais si magnifiquement écrit que vous ne pouvez le lire assez lentement», explique le romancier britannique, invité d'honneur au festival Les printemps meurtriers de Knowlton (voir au bas).

C'est le troisième «livre» qu'il tente d'écrire. Mais attention: «Si j'y parviens un jour, ce dont je doute, j'arrêterai probablement d'écrire.» Et cela, ceux qui ont découvert son oeuvre (quatre titres ont été traduits en français: Seul le silence, Vendetta, Les anonymes et Les anges de New York) ne le souhaitent pas.

Il faut dire que ses romans, qualifiés de slow-motion thrillers parce qu'ils prennent le temps qu'il faut pour s'ancrer dans le lecteur grâce à des personnages tout en nuances, sont de ceux qu'il est impossible d'oublier après leur lecture. Et à cela, R.J. Ellory plaide coupable. «Ce qui importe pour moi, c'est que, six mois après que vous ayez fini mon livre, en voyant quelqu'un le lire dans le métro, vous vous souveniez... pas du nom du personnage ou de la manière dont ça se termine, mais de ce que vous avez ressenti pendant votre lecture.»

En fait, s'il ne rédige ni plan ni synopsis, R.J. Ellory sait parfaitement, avant de coucher les premiers mots sur l'écran, quelles émotions il veut déclencher chez ses lecteurs. Il sait aussi très précisément quelles époques et quels lieux il désire explorer. Et il connaît son personnage principal jusqu'au fond de l'âme, parfois très noire, comme celle d'Ernesto Perez, qui hante les pages de ce chef-d'oeuvre qu'est Vendetta; ou tourmentée, comme celle de Frank Parish, qu'il nous présente dans l'excellent Les anges de New York.

Frank, qui est inspecteur au NYPD, est inspiré d'une femme qui a occupé semblable poste et est aujourd'hui à la retraite. R.J. Ellory et elle ont parlé pendant des heures. Elle lui a montré ses deux téléphones cellulaires. Le personnel, qui ne sonne jamais. Le professionnel, qui pendant des années a sonné sans arrêt. À chaque fois, il y avait une mort au bout du fil. Frank Parish est ainsi né. «Sa vie est un désastre, il présente tous les clichés du genre parce qu'ils sont vrais: il boit trop, il est divorcé, il s'est éloigné de ses enfants, il commet des erreurs et jamais il n'arrive avec une solution miraculeuse due à la chance.»

Cet homme ordinaire et extrêmement «réel», le romancier l'a rendu obsédé par une adolescente assassinée dont tout le monde se fiche. Mais qui, il en est sûr, est l'énième victime d'un tueur en série. Il va tout faire pour le prouver. Avec la complicité de J.R. Ellory, qui ne lui facilitera pas la vie pour autant.

Après tout, le romancier le sait, la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Plutôt un défi. Rappelons que son père a disparu avant même sa naissance, que sa mère est morte alors qu'il avait 7 ans, qu'il a grandi dans des pensionnats et chez sa grand-mère, qu'il a fait un peu de prison à l'adolescence. Et qu'il a toujours, toujours voulu écrire. D'où les 22 manuscrits pondus en six ans tout en travaillant à temps plein. Entre 3000 et 5000 mots par jour. Jusqu'à ce qu'il arrête, en 1993, après avoir reçu quelque 600 lettres de refus.

Puis, en 2001, le choc. Les attentats du 11-Septembre. Tous ces gens au destin brutalement interrompu. Laissant derrière eux des points de suspension. Des vies inachevées. R.J. Ellory s'est regardé lui-même. Son travail dans l'industrie du fret, qu'il détestait, mais qu'il devait faire pour rembourser ses dettes. Son mal d'être permanent. Rendant d'autant plus lumineux les moments de bonheur qu'il avait autrefois. Lorsqu'il écrivait.

Il a donc repris le collier. Deux ans plus tard, il était publié. «John Lennon disait: "Trouve quelque chose que tu aimes et tu ne travailleras plus un seul jour de ta vie."» R.J. Ellory a trouvé. Et il est probablement l'un des «paresseux» les plus occupés du monde.

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Les anges de New York. R.J. Ellory. Sonatine Éditions, 553 pages.

Devine qui vient tuer...

Créé par l'auteure de polars Johanne Seymour, le premier festival international de littérature policière baptisé Les printemps meurtriers de Knowton a commencé hier et se poursuit jusqu'à demain aux abords du lac Brome. L'occasion de rencontrer ces pointures importantes que sont les trois invités d'honneur - Chrystine Brouillet, R.J. Ellory et Martin Winkler -, mais aussi d'assister à des classes de maître, des causeries littéraires, des projections publiques de films policiers inspirés de romans (Mystic River, The Talented Mr. Ripley, etc.). Pour plus de détails: lesprintempsmeurtriers.com