Les Prix littéraires du Gouverneur général, qui seront remis mardi, fêtent leurs 75 ans. L'occasion de relater une histoire riche et méconnue, qui nous parle autant de la littérature que de la société dans laquelle on vit.

John Buchan avait lui-même écrit une centaine d'ouvrages quand, à l'instigation de la Canadian Authors Association (CAA), il a institué en 1936 les «Governor General's Literary Awards». L'année précédente, l'écrivain et diplomate écossais était devenu le 15e gouverneur général du Canada sous le nom de Lord Tweedsmuir; John Buchan mourra à Montréal en 1940.

Ces prix «nationaux» n'étaient toutefois destinés qu'aux auteurs de la nation canadienne-anglaise... ou aux Canadiens français qui auraient le bonheur de voir leur oeuvre traduite dans LA langue officielle du temps. Comme Ringuet (Philippe Panneton), lauréat de la catégorie «fiction» en 1940 pour Thirty Acres, la traduction de Trente arpents. L'Albertaine Gabrielle Roy -en 1947 pour The Tin Flute (Bonheur d'occasion), qui raconte la vie d'une famille du quartier montréalais de Saint-Henri, puis encore en 1957 pour Street of Riches (Rue Deschambault) - et Germaine Guèvremont, en 1950, pour The Outlander (Le Survenant) verront aussi leurs romans remporter un «G.G.» avec la mention «Translation».

En 1959, la Canadian Authors Association cède au nouveau Conseil des arts du Canada la gestion des «G.G.» auxquels les oeuvres canadiennes écrites en français seront désormais éligibles. Les premiers lauréats canadiens-français sont André Giroux, pour le recueil de nouvelles Malgré tout, la joie et Mgr Félix-Antoine Savard pour l'essai Le barachois. Parmi d'autres lauréats prestigieux qui suivront: Anne Hébert (Poèmes, 1960); Jacques Ferron, Jacques Languirand et Gilles Marcotte (1962); Gilles Vigneault (Quand les bateaux s'en vont, 1965); Réjean Ducharme (L'avalée des avalés, 1966); Jacques Godbout (Salut, Galarneau, 1967).

Le ton change en 1968 quand la montée du nationalisme québécois transforme la remise des Prix du Gouverneur général en arène politique. Hubert Aquin refuse le prix que lui a valu Trou de mémoire tandis que l'essayiste Fernand Dumont (Le lieu de l'homme) accepte le sien mais remet sa bourse au Parti québécois, récemment fondé par René Lévesque. Pour sa part, Leonard Cohen dit avoir consulté sa poésie qui lui a conseillé de refuser le prix; le poète et compositeur montréalais reste le seul anglophone de l'histoire à avoir pris ce parti.

Fernand Ouellette refuse son prix en 1970, mais l'acceptera pour d'autres ouvrages en 1985 et 1987. Le poète Michel Garneau fera de même: non en 1977, oui en 1989. Toujours pour «des raisons politiques», Roland Giguère refuse le prix de poésie pour La main au feu, en 1973. L'année suivante amène une touche d'originalité: Victor-Lévy Beaulieu, qui travaille déjà beaucoup à Radio-Canada, et Nicole Brossard acceptent leur prix (pour Don Quichotte de la Démanche et Mécanique jongleuse) et la bourse qui vient avec, mais disent se sentir «en pays étranger».

À l'instar de Fernand Dumont, Gilbert Langevin, lui, acceptera le prix en 1978, mais remettra sa bourse au comité de défense des prisonniers politiques; le merveilleux poète de Mon refuge est un volcan mourra en 1995 dans le dénuement total.

Sauf erreur, malgré deux référendums sur la souveraineté du Québec, aucun geste de contestation politique n'a marqué les Prix du Gouverneur général depuis 30 ans. Que représentent ces prix aujourd'hui, 75 ans après leur institution?

«Pour moi, c'est un signe que les gens nous lisent et nous apprécient», nous dira le dramaturge Normand Chaurette, finaliste pour une cinquième fois cette année (Ce qui meurt en dernier) et lauréat en 1996 et en 2001 pour Le passage de l'Indiana et Le petit Köchel. Voit-il dans les «G.G.» quelque dimension politique? «Aucune... Je suis de la génération du référendum de 1980; au cégep, on parlait de la démystification du joual et on voyait toutes les pièces de Jean-Claude Germain. Je connais ce corpus-là mais si j'avais essayé d'y ajouter, j'aurais eu une impression de redondance. Moi, mon champ, c'est le théâtre de l'introspection.»

Voir la liste des finalistes sur le site www.canadacouncil.ca.