Une fois arrêté et extradé aux États-Unis, Vito Rizzuto fut remplacé par un «comité de direction». Les enquêteurs de l'opération Colisée placèrent ses membres sur écoute. Ils furent surpris de voir comment ils intervenaient auprès d'hommes d'affaires. Voici un extrait du chapitre 17.

Francesco Del Balso téléphona à un entrepreneur en construction de la région de Québec parce qu'il avait entendu dire que ce dernier avait été embauché pour poser des dalles de céramique dans un gros bâtiment en construction dans la région de Montréal.

«T'as fait des travaux de céramique à Montréal? lui demanda-t-il, avec la voix d'outre-tombe qu'il utilisait pour menacer les joueurs malchanceux qui ne payaient pas leurs dettes à son entreprise de paris sportifs en ligne.

- Oui, répondit l'entre-preneur.

- On aimerait ça que tu viennes plus ici faire des travaux.

- Qui êtes-vous?

- C'est correct, qui je suis, OK! siffla Del Balso d'un ton menaçant. Parce que la prochaine fois, tu partiras pas d'ici, OK! T'as été averti. C'est fini. OK?»

Ce n'était là qu'un exemple parmi tant d'autres.

Lorsqu'ils avaient dissimulé leurs micros et leurs caméras dans le Consenza et le bar Laennec et placé sous écoute les lignes téléphoniques des principales têtes d'affiche du clan Rizzuto, les enquêteurs de la GRC s'attendaient à entendre parler de transactions de drogue, de bookmaking, de prêts usuraires et de blanchiment d'argent. Leur surprise monta d'un cran lorsqu'ils constatèrent l'ampleur d'une autre activité traditionnelle du crime organisé. La mafia se livrait non seulement au racket de l'extorsion, mais elle tentait d'exercer son influence sur des hommes d'affaires au-dessus de tout soupçon. Ce fut sans doute la découverte la plus inquiétante de l'enquête. Elle démontrait que la pieuvre se croyait suffisamment invulnérable pour étendre ses tentacules au-delà de son domaine habituel: elle osait menacer des personnes qui n'avaient rien à voir avec le crime organisé et tentait d'infiltrer leurs entreprises. Bref, elle voulait imposer sa domination dans des secteurs jusque-là hors d'atteinte.

Les exemples abondaient. Pas moins de 600 commerçants de Saint-Léonard et des autres arrondissements de l'est de Montréal, pour la grande majorité d'origine italienne, payaient leur «pizzo» à la mafia montréalaise...