Depuis son premier avec Julio Iglesias, Michel Lafon vend des livres, beaucoup de livres, et il aimerait avoir fini de s'en expliquer. Comme il a longtemps dû préciser, dans les salons parisiens, qu'il n'était pas le fils de Robert Laffont, juste un homonyme pratiquant le même merveilleux métier d'éditeur.

«Les gens s'éloignaient de moi, un peu gênés», nous racontait Michel Lafon, la semaine dernière, à l'hôtel de la rue de la Montagne où il descend trois fois par année. «J'ai fini par m'y faire», lance-t-il en souriant. Par contre, on sent que le monsieur est un peu tanné d'être rabaissé au rang de «vendeur de cacahuètes» par les éditeurs «littéraires», les princes de Paris, «la république des lettres». «Je suis un éditeur, mais aussi un lecteur. Et je n'aime pas les bêtises. C'est tout.»

Ce que Michel Lafon aime plus que tout, ce sont les best-sellers et les «coups» qu'il faut monter pour amener un titre à ce statut. Prenez Les Chevaliers d'Émeraude, la grande série de la Québécoise Anne Robillard (Éditions de Mortagne) qu'il a découverte au Salon du livre de Montréal, il y a deux ans. «On a 1,8 million d'exemplaires, c'est le délire.» Délire dû en bonne partie au fait que M. Lafon a fait venir «la Tolkien du Québec» et lui a organisé un tour de France en autocar, voyage au cours duquel Anne Robillard, entourée de chevaliers en armure, a rencontré les fans de heroic fantasy - ils ont de 12 à 35 ans - dans une quinzaine de grandes villes françaises. Un coup fantastique! «Anne Robillard, dira Michel Lafon, est notre plus grande amie!»

Parfois, Michel Lafon travaille seul, parfois, il «préfère partager» avec un partenaire québécois, les ententes étant conclues une à la fois. Ainsi, le prochain livre de Jean Lemire, Toutes les baleines du monde, sortira en France en collaboration avec les Éditions La Presse. Entre-temps, il y aura la biographie de René Angélil avec Librex, une maison de Quebecor. «Les gens ici savent qu'on va bien faire les choses avec René.» Qui sera à Paris aux premiers jours du printemps pour la promotion de sa biographie signée Georges-Hébert Germain. Les Français vont aimer ça, Le maître du jeu... Qu'a prévu M. Lafon pour notre illustre gambler, un poker hexagonal?

«Le gambler est une image un peu violente pour la France... Alors, j'ai fait une photo de René et Céline qui se tiennent par la main et j'ai appelé ça L'homme derrière le conte de fées. C'est plus romantique. Et on a demandé à Céline d'écrire une préface.» La connaissance du marché reste la base du succès éditorial, quel que soit le produit.

Dire que la maison Lafon - repartie à zéro après une faillite en 1998 - a un catalogue éclectique relève de l'euphémisme, comme le montrent les récentes parutions: une bio de Chopin et un témoignage intitulé No sex in the city, Les Chemins de Nelson Mandela et Dans l'ombre de Ben Laden, The Last Song de Nicholas Sparks - qui sortira à l'écran au printemps - et In the air, la traduction (française, eh! oui) du roman de Walter Kirn dont le héros, un spécialiste de la rationalisation corporative, est incarné au cinéma par George Clooney.

Dans la catégorie beaux livres, on passe de Britney Spears à Napoléon, de Paris Hilton à de Gaulle, que Lafon a fait avec le fils du général. En janvier, grand, grand coup: il lançait ce magnifique ouvrage que Catherine Camus a écrit sur son père: Albert Camus - Solitaire et solidaire, qui ralliera tant le simple amant de beaux livres que le littéraire qui y revivra les belles années où il lisait et relisait L'étranger.

Michel Lafon a compris depuis longtemps que l'un n'excluait pas l'autre.