En 1968, Alexandre Vialatte a 67 ans et si la horde quotidienne des étudiants et travailleurs des manifestations de Mai 68 réclament sous les pavés la plage (ce n'était que ça après tout), lui, derrière ses fenêtres, a l'esprit ailleurs, s'intéressant, dans ses chroniques hebdomadaires, à la guenon de Michel Simon, à son hareng saur («Que de choses il sait!»), à ce qu'on peut faire avec un requin bleu (l'empailler, le peler, l'éplucher...) et allant même jusqu'à déplorer que la France ait perdu «le sens du pompeux».

 

On connaît moins le chroniqueur Vialatte qui publiait en province dans un canard de Clermont-Ferrand, La Montagne; Vialatte c'est surtout le traducteur de Kafka, celui qui a fait connaître le Pragois en France. De l'auteur de La métamorphose, Vialatte avait le sens de l'absurde sans la paranoïa, il portait haut l'étendard de l'ironie. En 1968, sans doute faisait-il rire encore ses fidèles lecteurs avec ses manies, chaque chronique se terminant par un salut à la grandeur d'Allah et presque chacune relativisant toute chose en rappelant que «tout date de la plus haute Antiquité», le printemps, l'industrie, les Hongrois et la majesté.

Curieuse et incongrue décision d'éditeur que d'avoir clos le 40e anniversaire des «événements de 68» en nous proposant de lire le Vialatte sans-souci de cette année-là! Il aurait apprécié lui qui, dans la lignée d'Alphonse Allais, cherchait à «irriter le monsieur qui n'a pas de temps à perdre».

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1968

Chroniques d'Alexandre Vialatte

Julliard 335 pages, 45,95$

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