Chaque automne en France apporte sa pluie de prix, et avec eux, des torrents de commérages, sans doute. Je ne suis pas dans les coulisses à Paris, mais je peux imaginer les tractations qui ont fini par la victoire d'Un garçon parfait par le Suisse Alain Claude Sulzer au prix Médicis Étranger. Car ce drame de moeurs sur fond de grand hôtel suisse dans les années 1930 nous livre une atmosphère feutrée où l'homosexualité des trois personnages doit se cacher, mais ce petit roman a aussi une froideur, une raideur qui nous éloigne des passions d'Ernest et du vieil écrivain Julius Klinger, les deux subjugués par le beau Jacob.

Commençons par le titre. Le «garçon» en question, c'est le kellner en allemand, c'est-à-dire, le serveur. Ernest est serveur au restaurant du grand hôtel de Giessbach, en Suisse allemande. Serveur et fier de l'être: il n'aspire qu'à servir, qu'à obéir aux multiples règlements de son établissement. Il ne semble pas avoir une vie au-delà du travail jusqu'à l'arrivée de Jacob Meier. Jacob est beau et il le sait. Dans une scène mémorable dans l'atelier où la couturière de l'hôtel fait les mesures pour l'uniforme de travail de Jacob, pendant qu'Ernest contemple le spectacle du beau jeune homme à moitié nu, un courant passe entre les deux. Comble du bonheur: ils partagent la même chambre qui bientôt abritera des étreintes passionnées qui choqueraient les autres et mèneraient à leur expulsion si on découvrait le pot aux roses.

 

Ajoutons à cela le drame des années 1930. Des familles juives fortunées essaient de sortir de l'Allemagne par la Suisse, et parmi elles on retrouve Julius Klinger, sa femme et leurs deux enfants. La famille parfaite? Pas tout à fait: le mariage de Julius est censé protéger la vraie passion de l'écrivain, qui va plutôt vers les garçons. Et vers Jacob Meier.

Le roman passe des années 1930 à 1963, au moment où Ernest, toujours serveur à Giessbach, reçoit une lettre de Jacob, qui est maintenant en Amérique. Car Jacob s'est servi de sa liaison avec Klinger pour s'échapper aux tourments de l'Europe, et se trouver une situation au Nouveau Monde. Inutile de dire que l'amour entre Jacob et Klinger s'est éteint, une fois que le garçon trouve mieux en Amérique.

Finalement, Un garçon parfait tourne autour de la destruction causée par Jacob Meier - ou plutôt par ceux qui l'ont aimé. Amour ou obsession, à vous de choisir. Jacob est jeune, beau, il se prête à tous les jeux, voilà la base de son emprise sur le serveur Ernest et le grand écrivain Klinger. Je ne connais pas beaucoup de livres sur la passion qui dégage une telle froideur.

Un garçon parfait

Alain Claude Sulzer

Traduit par Johannes Honigmann. Éditions Jacqueline Chambon, 240 pages, 31,50$.

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