«Quand j'écris, je me demande toujours si j'ai fait quelque chose qui va obliger le lecteur à tourner la page», lâche le plus simplement du monde Ken Follett. L'auteur était de passage à Montréal pour rencontrer ses (nombreux) lecteurs qui ont dévoré Un monde sans fin , la suite de sa fresque médiévale Les piliers de la terre. La Presse a eu droit à un entretien avec le maître du «page turner» en personne.

Les journalistes nous le présentent toujours comme un dandy joyeux épris de luxe et de beaux vêtements, qui s'exprime avec humour et sans fausse modestie sur le secret de son immense succès populaire. En prenant place aux côtés de Ken Follett, dans une suite d'un hôtel du Vieux-Montréal où il avait convoqué les médias, j'ai quant à moi eu droit à une histoire d'écureuil qui l'avait beaucoup amusé! «J'ai lu votre journal ce matin. On y parlait d'un homme qui avait eu une amende de 25$ parce qu'il avait nourri les écureuils dans un parc, mais il refuse de les payer!» s'est-il étonné dans un français exquis.

 

L'entretien avec l'un des auteurs les plus lus de la planète - 100 millions d'exemplaires à ce jour - s'est déroulé sur ce ton débonnaire. On le devine un brin excentrique et, surtout, sans complexe ni prétention. Le syndrome de l'auteur populaire qui veut être pris au sérieux, très peu pour lui.

Comment expliquez-vous votre immense succès, monsieur Follett? «Quand je parle avec mes quelques amis qui sont écrivains, je me rends compte que je suis le seul de nous tous à vouloir faire plaisir à mes lecteurs.»

S'il a accepté d'écrire une suite de presque 1300 pages (Un monde sans fin) à son roman-cathédrale Les piliers de la Terre, c'était en grande partie pour répondre à la demande de ses nombreux fans.

«Au commencement, j'ai dit non. Je ne voulais pas écrire de suite. Je me disais que ce n'était pas possible. Finalement j'ai décidé d'écrire un roman qui se déroulerait dans la même ville, mais qui ne raconterait pas la construction d'une cathédrale. En cherchant un thème assez grand, je suis tombé sur la peste noire, une énorme catastrophe pour les êtres humains qui a tué au moins 30% de la population d'Europe, d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient.»

Les héritiers des Piliers

Si Les piliers de la terre faisait le récit de la construction d'une cathédrale gothique dans l'Angleterre du XIIe siècle, Un monde sans fin nous transporte à nouveau dans la ville fictive de Kingsbridge, deux siècles plus tard.

On fait la connaissance des quatre héros enfants dès les premières pages de ce roman de 2 kg (sans blague!), lors d'une poursuite dans les bois au cours de laquelle deux soldats au service de la reine sont tués. Un secret soudera à jamais les destins de Gwenda l'espiègle, de Caris la rebelle, de Merthin le constructeur et de l'ambitieux Ralph.

Famines, catastrophes, peste noire, guerres sanglantes, amours impossibles nous font tourner compulsivement les 1200 pages de ce roman qui a pris trois ans de la vie de Ken Follett

«On ne peut pas demander aux autres de faire des recherches à notre place. Cela dit, j'ai quelqu'un qui travaille pour mois cinq ou six semaines par année, qui cherche de vieux livres, des plans, et qui me trouve des personnes à interviewer. En plus, j'emploie quelques historiens pour corriger. Je les paie bien parce que je veux qu'ils lisent et corrigent précisément. S'ils me disent que j'ai écrit certaines choses qui n'existaient pas au Moyen-Âge, je leur demande de me suggérer des éléments de remplacement.»

Certains de ses lecteurs (surtout des lectrices, en fait) lui reprochent ses descriptions trop crues du sexe ou de la violence, à cette époque. «Le Moyen-Âge était une époque très brutale. Si j'écris sans brutalité, je ne suis pas fidèle à la réalité. Je pense que ce que nous aimons, ce qui nous fascine dans un roman, c'est de voir que même si la vie était cruelle, brutale et dangereuse, les gens étaient comme nous. En 800 ans, les humains n'ont pas beaucoup changé», observe Follett.

Si Les piliers de la terre a été reçu dans l'enthousiasme unanime, Un monde sans fin a suscité certains bémols. Des lecteurs soucieux d'exactitude historique lui ont ainsi reproché d'avoir créé des personnages de rebelles, voire même de féministes. Le plus fragrant exemple étant Caris, femme éprise de liberté qui veut devenir médecin. Un choix qu'il assume et défend totalement.

«À mon avis, les rebelles ont existé dans toutes les époques. Au Moyen-Âge, il y a eu quelques femmes puissantes, même si elles n'étaient pas nombreuses. Pensons à la reine Isabelle, que les Français avaient surnommée La Louve, qui était extraordinaire et très fascinante. Jean Gimpel, dans son livre Les bâtisseurs de cathédrales, a d'ailleurs écrit que 17% de ceux qui ont été payés pour construire des cathédrales étaient des femmes.»

On revient toujours aux cathédrales, en parlant avec celui qui, Dans un monde sans fin, révèle les «vices cachés» de celle qui a été construite dans Les piliers de la terre. «Ma fascination pour le Moyen-Âge a commencé avec les cathédrales. Comme beaucoup de gens, je me suis demandé: qui a construit ça? Qui a payé pour ça? Comment y sont-ils arrivés? Un jour, j'ai regardé une cathédrale and I was like: «Oh my God». I was blown away.»

Une illustre lectrice s'est tout récemment ajoutée à la kilométrique liste des fans de Ken Follett. La célébrissime Oprah l'a invité en novembre à son émission, pour causer des Piliers de la terre avec son fameux club de lecture.

«Oprah aime téléphoner elle-même aux écrivains. Quand elle m'a appelé, j'étais en voiture, sur l'autoroute en Italie, entre Florence et Milan. Elle est gentille, très intelligente et lit beaucoup. Quand un ami à elle lui a suggéré de lire les Piliers, elle a pensé que ce n'était pas son genre de livre, parce qu'elle aime généralement des romans plus littéraires, plus difficiles. Mais elle a lu, et elle a aimé.»

Un petit coup de pouce d'Oprah, ce n'est rien pour nuire à la popularité d'un faiseur de bestsellers. Il ne faudra pas chercher trop loin pour deviner le contenu de ces mystérieuses et lourdes briques déposées sous les sapins de Noël...

Un monde sans fin, de Ken Follett, traduit en français aux éditions Robert Laffont, 1286 pages.