Sa recherche d'«action extrême» lui a valu le surnom d'«Evil Knievel de la danse». La chorégraphe new-yorkaise Elisabeth Streb crée depuis 35 ans des spectacles de danse acrobatique qui défient les lois de la gravité. La Presse a appris qu'elle sera à Montréal cet été pour présenter Forces. Entrevue.

La démarche artistique d'Elisabeth Streb est semblable à celle qu'on observe aujourd'hui dans le monde du cirque contemporain. Pensez à la troupe australienne Circa ou à nos valeureux 7 doigts de la main. Sauf que la chorégraphe âgée de 65 ans était pas mal en avance sur son temps, ses premières créations datant des années 80. Son dernier passage à Montréal également.

Ici, le Cirque du Soleil venait à peine de voir le jour. Le cirque contemporain n'était pas encore né. «C'est vrai qu'en rétrospective, j'explorais des concepts nouveaux dans le milieu de la danse : la danse extrême, ce que le corps est capable de supporter, l'utilisation sur scène d'appareils qui défient la force humaine...», a confié la chorégraphe au cours d'un entretien téléphonique de son studio new-yorkais.

Depuis quelques années, les compagnies de danse moderne lui ont emboîté le pas en créant des figures plus acrobatiques. «C'est sûr que les danseurs ont plus de mal aujourd'hui à rejoindre leur public, tandis que le cirque, qui emprunte les codes de la danse, est en pleine éclosion, nous dit Elisabeth Streb. Mais j'avoue que j'ai un peu le meilleur des deux mondes.»

À JUSTE POUR RIRE

Ironiquement, ce n'est ni dans un festival de danse ni au festival Montréal complètement cirque que l'on verra Elisabeth Streb et ses 10 interprètes, mais au festival Juste pour rire! Il n'y a pourtant rien de drôle dans Forces. Au contraire, vous risquez plutôt de vous raidir d'effroi en voyant ces interprètes multiplier les chutes.

Car ces spectacles sont conçus suivant le principe de l'«action extrême». «Quand on regarde le vol d'un oiseau, on le trouve gracieux, mais si on regarde la chose de plus près, ses ailes bougent frénétiquement, son corps est sous pression. C'est un peu à travers cette image que je me suis intéressée aux mouvements aériens et à la chute des corps.»

La chorégraphe new-yorkaise, qui entraîne ses danseurs à tomber sur le ventre, sur le dos ou sur les côtés, admet que les figures exécutées par sa troupe sont dangereuses.

«Oui, c'est dangereux, mais ils s'entraînent depuis des années, explique-t-elle. Au fil des ans, il y a eu quelques accidents mineurs, mais ils sont capables de planifier leurs chutes plus vite que vous ne pouvez l'imaginer.» 

CORPS QUI VOLENT, CORPS QUI TOMBENT

L'idée de voler demeure l'un de ses plus grands fantasmes, et les frères Wright l'ont inspirée dans son travail de chorégraphe. 

«J'ai toujours été fascinée par l'idée de voler. Je me suis toujours demandé pourquoi les arts physiques n'ont pas passé plus de temps à essayer de trouver une manière de voler par eux-mêmes. Sans câble ni harnais.»

Ses danseurs ont participé à de nombreuses performances extérieures, sur le pont du Millenium de Londres, par exemple, d'où ils se sont élancés. «Visuellement, j'aime voir des corps humains dans les airs, nous dit encore la chorégraphe. C'est ce que j'ai essayé de faire dans Forces, mais à l'intérieur d'un théâtre, pour créer des images qu'on ne soupçonnerait pas.»

Créé à New York en 2012, Forces n'a pas de trame narrative comme telle. «C'est à travers l'action que nous racontons nos histoires, indique Elisabeth Streb. Il y a des projections, un personnage de scientifique qui apparaît à l'écran - que j'interprète moi-même - et qui est un peu la narratrice de ce spectacle où l'on rêve l'action.»

L'impact du corps qui tombe, voilà ce qui intéresse Elisabeth Streb. «Mon intuition profonde est que le drame de l'action réside dans l'impact du corps. Jusqu'à cet impact, et la douleur ressentie par l'interprète et le spectateur, on ne comprend pas sa structure, son poids et sa nature profonde. Évidemment, nos interprètes essaient de ne pas se faire trop mal à travers tout ça...»

Elle le dira à quelques reprises: ce qui est trop sécuritaire ne relève pas de l'action. «Nous savons tous les deux que le monde sommeille par manque d'imprudence», chantait Jacques Brel. Sommes-nous donc trop prudents? «Probablement, répond Elisabeth Streb. En tout cas, nous sommes trop préoccupés par l'avenir. Notre action nous ramène au moment présent, mais notre prudence peut aussi nous pousser à nous dépasser.»

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Au Monument-National du 16 au 26 juillet.