Une véritable caverne d'Ali Baba se tient dans l'ombre de l'autoroute 30, à Saint-Hubert. Dans ses installations, l'entreprise Les Dépendances compte 1000 types de fromages différents, ce qui en fait la championne de la diversité en Amérique du Nord. Nous avons rencontré son propriétaire Jean-Philippe Gosselin, à la fois importateur, créateur et distributeur de fromages fins qui, bon an, mal an, enregistre une croissance de 30% et qui souhaite vendre du fromage aux Américains.

Malgré le succès indéniable de son entreprise - son chiffre d'affaires est actuellement de 15 millions de dollars -, Jean-Philippe Gosselin aimerait, à l'instar de plusieurs autres PME comme la sienne, voir les règles changer dans l'industrie canadienne du fromage. Surtout en ce qui a trait à l'importation, grande spécialité de ce sympathique colosse de 55 ans. Il souhaite une révision du programme de contingentement sur les fromages importés.

Le gouvernement fédéral a fixé à 20 millions de kilogrammes la quantité de fromage ou de produits laitiers pouvant être importée annuellement au Canada. Or, ils sont 60 importateurs au pays à se partager la tarte, dont Les Dépendances. Les plus importants d'entre eux se nomment Agropur, Parmalat et Saputo.

Certains importateurs mettent une partie de leurs quotas «en location», ce qui permet à d'autres importateurs d'augmenter leur volume d'importation. Autrement dit, certains s'enrichissent en ne faisant que louer leurs quotas. Et c'est tout à fait légitime, reconnaît M. Gosselin.

«Mais j'aimerais que le fédéral mette de nouveaux quotas en circulation», dit celui qui importe 70% de ses produits, principalement de France, mais aussi d'Angleterre, d'Espagne, du Portugal et, depuis peu, de la Suisse. Le reste des fromages que distribue la PME de 29 employés sont fabriqués au Québec et au Nouveau-Brunswick.

Pour l'heure, l'entrepreneur se débrouille plutôt bien. Il vend près de 20 000 kg de fromage par semaine dans plus de 1000 points de distribution, dont 80% sont au Québec et 20% dans le reste du Canada. L'Ontario et la Colombie-Britannique, provinces canadiennes les plus friandes de nouveautés, sont dans la ligne de mire du président de la PME. Il souhaite attaquer le marché des échoppes, puis étendre sa présence par l'entremise des magasins à grande surface.

Et le Canada est un marché prometteur. Selon Agriculture Canada, il se consomme annuellement, d'un océan à l'autre, près de 500 millions de kilogrammes de fromage, près de 12 kg par personne. On le devine, le cheddar et la mozzarella sont les plus prisés. Ce qui laisse encore beaucoup de place aux centaines de fromages fins d'ici et d'ailleurs qui ne demandent qu'à être découverts. À lui seul, le Québec compte plus de 80 producteurs de fromages.

Au-delà du marché canadien, Jean-Philippe Gosselin lorgne du côté américain, marché dans lequel les fromages d'ici sont encore peu présents. Pour y parvenir, l'homme d'affaires veut mettre la main sur une fromagerie où il pourrait fabriquer ses propres produits, dont le Tarapatapomme, un triple crème étagé avec des pommes caramélisées.

Récemment, M. Gosselin aurait eu la possibilité d'acquérir les équipements d'une fromagerie de Châteauguay qui a fermé boutique. Mais le propriétaire du bâtiment s'est montré trop gourmand et l'offre d'achat a été annulée. Ce n'est que partie remise, dit l'entrepreneur.

Des 1000 fromages que la PME distribue, plus d'une centaine sont l'oeuvre de Jean-Philippe Gosselin. À ce jour, l'entrepreneur a fait fabriquer, selon des critères spécifiques (forme, type de croûte, etc.), pas moins de 127 fromages différents, dont les marques sont enregistrées. En vacances, M. Gosselin ne lit pas de romans policiers, mais plutôt des livres sur les fromages. Tous les ans, il se rend en Europe à la recherche de fromages uniques. Il sillonne les régions rurales. Cette année, il dit avoir découvert 70 perles rares qu'il compte importer.

Jean-Philippe Gosselin évolue dans l'univers des fromages depuis 30 ans. À la fin des années 70, sa conjointe, Lucie Paulhus, et lui ont acheté un petit réseau de distribution de fromages à Beloeil. En 15 ans, ils l'ont transformé en une mine d'or, faisant passer son chiffre d'affaires de 300 000$ à près de 20 millions. En 1996, Saputo en est devenu propriétaire.

Alors âgés dans la jeune quarantaine, le couple aurait pu se la couler douce. Il a plutôt choisi de fonder une fromagerie à Brigham dans les Cantons-de-l'Est. À cette fromagerie (dotée d'impressionnantes salles d'affinage dans des silos) se sont greffés une cidrerie, puis un restaurant. Situé en zone verte, le commerce n'était toutefois pas en règle, selon le ministère de l'Agriculture (MAPAQ) qui a mis un frein à l'aventure des entrepreneurs.

Mais, force est de constater que «ça a été un mal pour un bien», pour citer Jean-Philippe Gosselin.