L'année à venir s'annonce comme une cuvée prometteuse pour les consommateurs. Cartes de crédit, achats sur l'internet, programmes de fidélisation... Plusieurs mesures viendront assainir l'industrie en 2018. Et la nouvelle ministre responsable de la Protection des consommateurs et de l'Habitation, Lise Thériault, a bien d'autres projets dans ses cartons.

CE QUI FAIT TIQUER LA NOUVELLE MINISTRE

La ministre Lise Thériault ne s'en cache pas. Elle est une bonne magasineuse, mais aussi une consommatrice avisée, pas trop du genre à baisser les bras quand un commerçant lui fait la vie dure.

Amatrice de soldes, elle n'a pas hésité à faire valoir ses droits, l'an dernier, à la boutique hors taxes de l'aéroport où l'on refusait de lui accorder un rabais sur une écharpe pourtant annoncée à 2 pour 30 $.

Mais c'est la répartie de la vendeuse qui l'a fait tiquer le plus : 

« La loi ne s'applique pas, madame, parce que vous êtes dans une zone internationale. »

« Ben voyons donc ! », s'est indignée celle qui est devenue ministre responsable de la Protection des consommateurs et de l'Habitation, en octobre dernier.

Cela faisait plus de 30 ans que les consommateurs n'avaient pas eu de ministre se consacrant à leur cause.

Depuis 1985, la Protection des consommateurs était sous la coupe du ministre de la Justice, qui a bien d'autres chats à fouetter par les temps qui courent, à commencer par les conséquences de l'arrêt Jordan. Et l'Habitation était écartelée entre le ministère de la Justice, celui du Travail et celui des Affaires municipales.

Résultat : des réformes qui touchent les citoyens dans leur quotidien se faisaient attendre depuis de longues années.

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Maintenant, Lise Thériault veut que ça bouge. Elle connaît bien le processus législatif pour avoir dirigé six ministères en presque 16 ans à l'Assemblée nationale. Et elle a l'intention de modifier la loi au fur et à mesure que de nouveaux problèmes surgiront.

« L'avènement technologique va tellement vite qu'on n'a pas le choix : il faut toujours réajuster les lois », m'a confié la ministre, que j'ai rencontrée juste avant Noël dans son bureau de la circonscription d'Anjou-Louis-Riel, rue Beaubien Est.

« À mon avis, il devrait y avoir des omnibus pour la protection des consommateurs toutes les années, pas moins que ça. » - Lise Thériault, ministre responsable de la Protection des consommateurs et de l'Habitation

Un bureau au centre-ville, bien peu pour elle. « Ça coûte très cher et on y va très peu », explique Lise Thériault, qui a passé le plus clair de l'automne à Québec, afin de mettre en place son tout nouveau ministère.

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À peine arrivée en poste, la ministre a déjà ciblé une poignée d'enjeux qui pourraient faire l'objet d'un projet de loi en 2018. La revente de billets de spectacle sur l'internet est du lot. Certains « scalpers » du web ont trouvé une façon de contourner la loi en se faisant passer pour des particuliers, ce qui leur permet de vendre massivement des billets avec des marges de profit incroyables.

« Il faut regarder ça, d'autant plus qu'en Ontario, ils viennent de faire adopter une loi pour limiter le phénomène de la vente électronique de billets », explique Mme Thériault.

Les services funéraires et la vente à temps partagé (time sharing) sont aussi sur son écran radar, tout comme la sollicitation pour le crédit sur les campus que la ministre s'est déjà engagée à encadrer. Ce sujet plus controversé avait été écarté du projet de réforme de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) que Québec a adoptée l'automne dernier.

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Cette réforme que les consommateurs attendaient depuis au moins six ans a été scindée en deux pour permettre d'adopter rapidement les mesures plus urgentes et plus consensuelles.

Il était grand temps qu'on s'attaque aux prêteurs sur gages, aux pseudo-négociateurs de dettes et aux autres vautours de la détresse financière qui profitent des failles de la LPC pour faire des ravages chez les plus démunis (voir onglet 4).

Mais la réforme laisse sur leur faim les organismes de défense des consommateurs qui souhaitaient que Québec se penche sur le surendettement de manière plus large.

« Oui, on s'attaque aux problèmes les plus criants pour les personnes les plus vulnérables. Mais il aurait fallu viser aussi les banques », critique Sylvie De Bellefeuille, avocate chez Option consommateurs.

Il faut dire que Desjardins, les banques et les assureurs vont échapper à l'obligation de vérifier la capacité de remboursement des clients avant de leur accorder du nouveau crédit, pourtant une mesure phare du projet.

Mais la ministre se défend d'avoir donné le Bon Dieu sans confession aux banques. « Mon rôle, ce n'est pas de défendre les institutions financières. Je suis là pour protéger les consommateurs », assure Lise Thériault.

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Côté habitation, la ministre souhaite aussi faire aboutir la réforme des règles entourant les copropriétés que l'industrie réclame quasi unanimement depuis trop longtemps. « J'essaie très fort de déposer un projet de loi pour le printemps », avance Lise Thériault.

Imposera-t-elle des cotisations et un fonds de prévoyance minimum ? « Je pense que oui, on va être obligés de légiférer », répond-elle. Copropriétaire deux fois plutôt qu'une, la ministre est bien consciente des enjeux sur le terrain, surtout qu'elle vit deux réalités très différentes.

À Québec, le fonds de prévoyance de son immeuble est très bien garni et l'entretien est assuré de main de maître. À Anjou, le fonds de prévoyance est à sec et elle doit verser des cotisations spéciales chaque fois que des travaux doivent être accomplis.

Maintenant que la moitié des propriétaires du Québec sont en mode copropriété, ne serait-il pas temps d'instaurer des règles minimales ? Cela éviterait bien des mauvaises surprises...

LISE THÉRIAULT SUR...

La réglementation des institutions financières : 

« Il y a une responsabilisation à faire du côté des institutions financières. Et si ça ne marche pas, on va resserrer les lois. »

L'intrusion d'Ottawa dans le domaine de la consommation : 

« Je suis une ardente défenseuse des compétences et des responsabilités du gouvernement québécois. Se faire imposer quelque chose, au détriment de nos compétences, je vous dirais que chaque fois que le fédéral fait ça, il s'achète une guerre en bonne et due forme. »

Le financement des organismes de défense des consommateurs : 

« Est-ce qu'on pourrait regarder comment mieux organiser la protection des consommateurs ? Pourquoi pas ? On l'a fait à travers le programme de garantie des maisons neuves qui permet d'aider les organismes à but non lucratif [du secteur de la construction]. »

LES NOUVELLES ARMES DES CONSOMMATEURS

Adopté l'automne dernier, le projet de loi 134 donnera bientôt de nouvelles armes aux consommateurs. L'entrée en vigueur de cette réforme de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) est attendue en 2018. Mais voici déjà un aperçu des principales mesures qui touchent le grand public.

ACHATS PIÉGÉS SUR LE WEB

C'est une véritable épidémie ! Pensant recevoir un échantillon de produits de beauté, les internautes se retrouvent abonnés à un coûteux service mensuel. La LPC permet aux consommateurs de demander la « rétrofacturation » à l'émetteur de leur carte de crédit. Mais beaucoup de victimes se rendaient compte de l'arnaque seulement en ouvrant leur compte de carte de crédit. Trop tard ! Les délais étaient écoulés. Fort heureusement, Québec a modifié les règles pour permettre aux victimes de se faire rembourser plus facilement. En passant, cette mesure est déjà entrée en vigueur.

CARTES DE CRÉDIT : PAIEMENT MINIMUM À 5 %

Au fil des ans, la plupart des émetteurs de cartes de crédit ont réduit à 2 % le paiement minimum. Ce n'est pas un cadeau ! À ce rythme, les détenteurs ne remboursent pratiquement pas de capital et sont donc condamnés à payer des intérêts pour l'éternité. Québec va donc remonter le paiement minimum à 5 %. En douceur ! Pour éviter que les consommateurs endettés ne subissent un choc budgétaire, la remontée se fera graduellement sur six ans, à raison de 0,5 % par an. Toutefois, le paiement minimum sera automatiquement de 5 % pour toutes les nouvelles cartes de crédit.

FINIS LES FRAIS DE DÉPASSEMENT DE CRÉDIT

Les associations de défense des consommateurs voulaient empêcher totalement les émetteurs de cartes de crédit de permettre les achats qui excèdent la limite de crédit, ce qui entraîne des frais allant jusqu'à 30 $. Mais dans certains cas, les clients ne sont pas fâchés que leur transaction soit acceptée même si elle dépasse la limite. Alors, Québec a coupé la poire en deux en prohibant les frais de dépassement, sans toutefois interdire le dépassement en tant que tel.

PROGRAMMES DE FIDÉLISATION

Dans la foulée de la saga Air Miles, Québec va interdire l'expiration des points accumulés dans vos programmes de fidélisation. Mais peut-être sera-t-il encore possible d'éliminer les points des membres dont le compte reste inactif trop longtemps. Il faudra voir dans les règlements qui seront déposés en février. D'autre part, rien n'empêchera les systèmes de loyauté de continuer à rogner en douce la valeur des points accumulés par les participants en augmentant le prix des récompenses au fil des ans. Une manière plus subtile de faire mourir les points à petit feu.

CHER EX, JE NE PAIERAI PLUS TES COMPTES

Beaucoup de couples ont une carte de crédit conjointe ou un autre type de prêt en commun. Cela peut devenir une pomme de discorde lors de la séparation. Désormais, un ex-conjoint pourra envoyer un avis au prêteur pour l'informer qu'il n'utilisera plus le crédit consenti et exiger de ne plus être tenu responsable des nouvelles dettes qui pourraient être contractées par son ex dans le futur. Faites vite, car on a déjà vu des gens malintentionnés bourrer la carte de crédit conjointe juste pour mettre leur ex dans le pétrin.

PUBLICITÉS PLUS SAINES

Des concessionnaires qui présentent un modèle de luxe dans leur publicité, mais qui inscrivent le prix du modèle de base ? Ça ne passera plus ! Désormais, il sera interdit d'utiliser une image qui ne correspond pas au produit véritablement offert. De plus, les publicités devront présenter l'information de manière lisible et compréhensible, pas en microcaractères pour les yeux bioniques. En outre, les commerçants n'auront plus le droit d'utiliser l'expression « prix coûtant », qui laisse croire à de faux rabais.

PRÊTEUR RESPONSABLE

La notion de « prêteur responsable » est une mesure phare du projet de réforme de la LPC. Les prêteurs devront maintenant vérifier la capacité de remboursement du consommateur avant de lui accorder du nouveau crédit. Une belle avancée, car les gens se fient beaucoup aux prêteurs pour savoir s'ils peuvent emprunter, constate Sylvie De Bellefeuille, avocate chez Option consommateurs. Concrètement, comment cela se fera-t-il ? « Il faudrait qu'ils fassent le budget, pas seulement qu'ils regardent le dossier de crédit qui donne une image du passé », préconise Mme De Bellefeuille.

CRÉDIT À COÛT ÉLEVÉ

Les prêteurs à coût élevé devront remettre aux emprunteurs, avant la conclusion du contrat, une copie des documents contenant leur ratio d'endettement et l'évaluation de leur capacité de remboursement. Cela permettra de sensibiliser les consommateurs à leur situation budgétaire. « Mais la question qu'on se pose est : qu'est-ce que du crédit à taux élevé ? Comment on va le calculer ? Il va falloir être vigilant », dit Mme De Bellefeuille. Les consommateurs en auront le coeur net avec le dépôt de la réglementation en février.

LA CHASSE AUX VAUTOURS FINANCIERS EST OUVERTE!

L'année 2018 sonnera la fin de la récréation pour les vautours de la détresse financière qui s'annoncent encore sans vergogne dans les médias. Québec va bientôt colmater les brèches dans la Loi sur la protection du consommateur (LPC) qui leur laissent le champ libre pour exploiter les plus démunis.

ENTREPRISES DE RÈGLEMENT DE DETTES

Vous vous souvenez du Petit cochon rose ? L'entreprise qui promettait d'aider les consommateurs à se sortir de leurs dettes ne faisait que les couler davantage. Désormais, les entreprises de restructuration de dettes seront mieux encadrées. Entre autres, les sommes obtenues des consommateurs qui sont destinées à rembourser leurs créanciers devront être versées en fiducie. Cela évitera les histoires d'horreur.

PRÊTEURS SUR GAGES

Les prêteurs sur gages utilisaient toutes sortes de moyens détournés pour imposer des taux d'intérêt ahurissants. Par exemple, ils achetaient des biens en donnant au client une faculté de rachat (à un prix extrêmement élevé) ou ils achetaient un bien en s'engageant à le louer au consommateur (pour un montant largement supérieur). Ces tactiques seront maintenant considérées comme du prêt sur gages. « Ça va être un tournant pour cette industrie qui jouait sur les mots », se réjouit Sylvie De Bellefeuille, avocate chez Option consommateurs.

PRÊTEURS À 300 % D'INTÉRÊT

Beaucoup de prêteurs qui s'adressent à une clientèle mal en point accordent des prêts à des taux de 300 %. Mais les consommateurs n'y voient que du feu, car une partie de ces frais est prélevée par un « courtier » prétendument indépendant. Après la réforme, le courtier en crédit n'aura plus le droit d'imposer des honoraires directement au consommateur. Sa commission sera versée par le prêteur qui sera obligé de l'inclure dans le taux de crédit imposé au client, ce qui fera ressortir les taux de 300 %.

VENDEURS ITINÉRANTS

Ah, ces fichus vendeurs itinérants ! Une thermopompe hors de prix par-ci, une isolation des combles inutile par-là. Ils font des ravages auprès des personnes âgées. Normalement, les propriétaires qui se sont fait emberlificoter ont 10 jours pour mettre fin à leur contrat. Mais souvent, les vendeurs itinérants se précipitent pour faire les travaux dès le lendemain, ce qui empêche les clients de faire marche arrière, explique Charles Tanguay, porte-parole de l'Office de la protection du consommateur (OPC). Pour les forcer à attendre, Québec va empêcher l'institution financière qui finance la transaction de remettre l'argent au vendeur itinérant avant 10 jours. Gageons qu'ils ne se presseront plus pour faire des travaux s'ils n'ont pas l'argent dans leurs poches.

AGENCES DE RECOUVREMENT

Les agences de recouvrement ont déjà besoin d'un permis de l'OPC. Mais bientôt, leurs représentants devront obtenir un certificat délivré par l'Office. « Cela assurera qu'ils ont des qualifications minimales et aidera à assainir l'industrie », estime Mme De Bellefeuille. En outre, les consommateurs pourront demander des dommages punitifs lorsque l'agence tord le bras des consommateurs un peu trop fort.