À 30 ou 40 ans, l'amour réussit assez facilement à faire oublier une différence d'âge. Mais lorsque l'un des tourtereaux franchit le cap de la soixante et aspire à la retraite, l'écart frappe de plein fouet.

Pierre, 62 ans, ne rêve pas seulement de cesser de travailler. Il souhaite passer le plus d'années de retraite possible avec Elizabeth, qui, elle, n'a que 49 ans. Les amoureux, tous deux fonctionnaires municipaux dans l'ouest de l'île de Montréal, peuvent compter sur un salaire brut de 83 000 $ chacun et un régime de retraite à prestations déterminées. « Nous avons une vie très agréable, certainement plus que beaucoup de gens, reconnaît Pierre. Mais l'avenir, vu notre différence d'âge, nous stresse un peu. »

Le couple a fini de payer sa maison, d'une valeur de 400 000 $, a accumulé 230 000 $ dans ses REER jusqu'à maintenant et n'a pas de goûts luxueux. Les conjoints aimeraient bien voyager un peu plus lorsque Pierre sera à la retraite, mais ils n'ont pas d'autres projets coûteux en vue.

DEUX ÉTUDIANTS À LA MAISON

Là où ça se complique, c'est que Pierre et Elizabeth ont deux ados. Justin, 12 ans, vient d'entrer au secondaire. Alexandre, bientôt 17 ans, fera son entrée au cégep l'an prochain. Ils ne quitteront pas la maison de sitôt. De toute façon, les parents ont l'intention de les aider dans leurs études. Et la scolarité s'annonce longue ! « L'aîné fera au minimum une maîtrise, possiblement un doctorat. Le deuxième est plus jeune, mais on voit déjà qu'il est très bon à l'école », dit Elizabeth, non sans fierté.

Malgré ces aspirations, aucun régime d'épargne-études n'a été créé jusqu'ici. « C'est la seule chose que nous n'avons pas faite, regrette Pierre. Devrait-on cotiser pour le plus jeune ? »

S'ils sont admis à l'Université McGill comme ils le souhaitent, Justin et Alexandre continueront de vivre chez leurs parents et n'auront pas besoin d'auto. Ils occuperont probablement un emploi, mais leurs parents ne veulent pas qu'ils travaillent trop et ils ne leur demanderont pas de pension. « Pour le moment, nous leur donnons de l'argent quand ils en ont besoin, indique Elizabeth. Nous ne sommes pas regardants, mais ils ne sont pas extravagants non plus. »

Impossible de troquer la maison pour un condo avant au moins sept ou huit ans, idéalement même une vingtaine d'années. « Nous avons mis beaucoup d'argent sur la maison depuis 15 ans. Elle est bien entretenue et la cuisine et la salle de bains sont refaites. Nous ne prévoyons pas de grosses dépenses. »

DES LUNETTES ROSES ?

Pierre vise une retraite à 64 ou 65 ans, alors qu'Elizabeth pense cesser de travailler à 60 ans. « Mais nous pourrions accepter certaines pénalités afin de devancer sa retraite », ajoute Pierre. Ni l'un ni l'autre ne peut prendre de retraite progressive. Quant à un emploi à temps partiel à la retraite, c'est hors de question !

La plupart du temps, Pierre juge qu'il peut sans problème partir bientôt à la retraite. D'autres jours, il craint d'avoir des lunettes roses et se met à douter. Mais jamais autant qu'Elizabeth, que la situation stresse beaucoup. « C'est le long terme qui m'inquiète, précise-t-elle. Je vois mes parents : les soins de santé peuvent coûter cher. »

Le couple ne veut pas se placer dans une situation précaire... ni pécher par excès de prudence. « Le temps file et on veut en profiter. »

PORTRAIT

PIERRE, 62 ANS

Fonctionnaire municipal

Revenu : 83 000 $

Régime de retraite à prestations déterminées : 28 000 $ à 29 000 $/an selon le moment de la retraite

REER : 140 000 $ (3500 $/an)

ELIZABETH, 49 ans

Fonctionnaire municipale

Salaire : 83 000 $

REER : 90 000 $ (5000 $/an)

Régime de retraite à prestations déterminées : 38 000 $ si retraite à 60 ans, 42 000 $ à 65 ans

ACTIFS ET PASSIFS DU COUPLE

Résidence : valeur d'environ 400 000 $

CELI : 9600 $ (1200 $/mois)

Hypothèque contractée pour des rénovations : solde de 25 000 $ (100 $/semaine, remboursée en 2020)

Emprunt pour l'achat d'appareils électroménagers : solde de 1000 $ (95 $/mois)

Les autos sont payées et ne devraient pas être changées avant plusieurs années.

UN PROJET PAS FOU, MAIS FRAGILE

Pierre et Elizabeth pourraient concrétiser leur projet de retraite à 65 et 60 ans, respectivement. Mais s'ils choisissent ce scénario, ils devront suivre leurs dépenses de près.

« Ça pourrait marcher, mais ça arrive tout juste », dit Daniel Laverdière, planificateur financier et directeur principal chez Banque Nationale Gestion privée 1859. Ce qui freine l'actuaire, c'est que, selon ses calculs, les REER et le CELI seront épuisés en 2052. Le couple dépendrait alors des rentes versées par le régime de l'employeur, la Régie des rentes et la Sécurité de la vieillesse. Des sommes appréciables, mais qui ne couvriront pas toutes les dépenses si ces dernières demeurent au niveau actuel.

Ça ne veut pas dire que le projet soit fou pour autant. En 2052, Elizabeth aura 83 ans et Pierre, 97 ans. D'ici là, le couple est susceptible de réduire son train de vie, à mesure qu'il gagnera en âge. Il est possible aussi qu'Elizabeth soit veuve à ce moment et que ses dépenses aient diminué.

Pour déterminer le coût de vie à utiliser dans son scénario, le planificateur a soustrait des revenus les cotisations au REER, puis bloqué 15 000 $ pour le CELI. Ce qui donne un coût de vie en 2017 de 88 200 $ (en incluant les remboursements d'emprunts) et de 90 000 $ en 2021, quand Pierre aura 66 ans (augmenté par l'inflation, mais diminué par la fin des prêts). Des chiffres plus élevés que ceux fournis par le couple, mais qui reflètent probablement mieux la réalité, selon M. Laverdière. « On voit ce qu'ils épargnent. Le reste doit être dépensé quelque part. »

« Peut-être que les dépenses diminueront quand les enfants partiront, mais comme on ne sait pas quand ça arrivera, il est préférable d'être prudents. En plus, les parents voudront peut-être continuer de donner aux enfants, d'une autre façon. Et se gâter un peu. »

Pour avoir une idée plus précise des dépenses à prévoir, Daniel Laverdière suggère de faire un budget très détaillé, avec le plus de lignes possible. Entretien de la piscine, bois de chauffage, amortissement de la voiture, pneus, coiffeuse... Un couple peut facilement se rendre à 50 ou 60 postes de dépenses. « Il faut que ça balance avec le surplus réel. Les montants qui ne sont pas épargnés sont dépensés d'une façon ou d'une autre. »

Dans le cas de Pierre et Elizabeth, il serait bon de faire l'exercice sur trois colonnes : les dépenses actuelles, celles lorsque les enfants seront partis et celles si un des conjoints mourait avant l'autre.

Quant à la question des REEE, l'expert est catégorique : il faut cotiser le maximum possible afin d'obtenir les subventions. Cela représente des cotisations annuelles de 5000 $ jusqu'en 2020 pour Justin. Au besoin, les parents peuvent retarder en partie leurs cotisations au REER et au CELI. « Ils pourront garder le capital s'ils le désirent. Le rendement et les subventions serviront à aider les enfants. »

PLANIFIER LES ENTRÉES D'ARGENT

Même si Pierre et Elizabeth ont des REER et un CELI, le coeur de leur retraite réside dans leur régime à prestations déterminées ainsi que, dans une moindre mesure, dans la Régie des rentes du Québec (RRQ) et la Sécurité de la vieillesse (PSV).

La variable clé, dans de tels cas, n'est pas le rendement sur les placements, mais plutôt l'indexation. Selon Pierre, le régime de retraite de leur employeur est pleinement indexé en fonction du coût de la vie. « Ça me surprendrait grandement, surtout quand je vois celui de la Ville de Montréal », dit Daniel Laverdière. En l'absence de documents détaillés, il a opté pour une bonification annuelle de 0,5 %, une clause plus réaliste, selon lui. « C'est sûr que les résultats seraient beaucoup plus beaux avec une indexation de 2 %, mais je ne suis pas à l'aise avec ça. »

Pour ce qui est de la RRQ et de la PSV, Pierre et Elizabeth gagneraient probablement à retarder leurs encaissements.

« Il faudrait faire des calculs juste là-dessus, mais en général, quand on a une espérance de vie normale, ça vaut la peine d'attendre à tout près de 70 ans. » - Daniel Laverdière, planificateur financier et directeur principal chez Banque Nationale Gestion privée 1859

Quitte à piger plus vite dans les REER et le CELI. « Le risque à la retraite est de vivre longtemps. En retardant la RRQ et la PSV, on accroît le filet de sécurité. »

Et la maison ? N'est-ce pas un beau coussin de sécurité pour le couple ? « C'est une possibilité, reconnaît le planificateur. Mais il ne faut pas prendre toute sa valeur comme une addition nette de capital. » Si Pierre et Elizabeth vendent leur maison, ils investiront dans un condo ou auront un loyer à payer.

Finalement, vu la différence d'âge, il serait pertinent pour Elizabeth d'élaborer un scénario de planification dans lequel Pierre ne serait plus là. Les dépenses seraient alors moindres, mais les revenus familiaux, encore plus. « Le régime de retraite de l'employeur verse probablement une rente au conjoint survivant, mais réduite de 40 % ou 50 %. La PSV de Pierre disparaîtra et sa RRQ sera remplacée par une rente de veuve, substantiellement plus basse. »