Qui peut juger des inquiétudes d'un autre face à l'avenir ?

« J'ai toujours été inquiète, financièrement, confie Denise d'une voix douce, au débit mesuré. Quand j'étais jeune, mes parents étaient pauvres. Ça n'a pas été facile. »

Denise a 67 ans et travaille toujours. « J'ai commencé sur le tard. Je suis travailleuse sociale depuis 1998. J'aime encore ça, et je veux en profiter pour voyager au maximum. »

Elle veut prendre sa retraite dans un an, au printemps 2017.

Son mari Sylvain, enseignant, est âgé de 57 ans. Il prévoit pour sa part prendre sa retraite en décembre 2017, au moment où ses années d'ancienneté lui vaudront une pleine pension.

Ce sera le moment de vendre leur maison, en région, pour déménager à Québec.

« Je veux me rapprocher de la ville, pour être plus près de ma famille et des activités culturelles », explique Denise.

Leur propriété est estimée à environ 215 000 $, dont il faudra soustraire un solde de 40 000 $ sur une marge de crédit hypothécaire.

Avec son salaire et les revenus de pension qu'elle touche déjà, Denise gagne présentement environ 67 000 $ par année.

Au moment de sa retraite, elle aura accumulé 12 années de participation à son régime de retraite. Son REER contient 150 000 $.

Sylvain, qui bénéficiera du régime de retraite de la fonction publique, ne possède que 20 000 $ en épargnes de retraite.

VOYAGES

Les deux conjoints ont organisé leur budget pour en réserver une part importante aux voyages.

Ils veulent maintenir ce dynamisme durant les sept premières années de leur retraite - et pourquoi pas plus longtemps ?

Ils prévoient y consacrer 15 000 $ par année, pour l'équivalent de deux mois à l'étranger.

Sylvain rêve également d'une expédition de trois mois sur les routes de l'Amérique du Nord, en achetant puis revendant un petit véhicule récréatif de type Safari Condo. Ils estiment le coût du projet à 20 000 $. Ce serait le seul voyage de l'année.

LE BUDGET DE RETRAITE

En voyageurs aguerris, ils ne s'embarquent pas pour la retraite sans avoir fait quelques calculs.

Ils estiment que leur budget s'élèverait à 74 900 $, incluant 21 200 $ en frais de logement et 15 000 $ pour les voyages.

Mais leurs revenus de retraite nets, de toutes provenances, atteindraient 68 000 $, calculent-ils.

Oups, déficit de 6900 $...

« Quel est le meilleur scénario pour aller chercher ces 6900 $ ? », demandent-ils.

S'ils louent un condo à Québec, devraient-ils utiliser le capital de 160 000 $ issu de la vente de leur propriété pour combler ce déficit ? Mais combien de temps peuvent-ils tenir ?

Serait-il préférable d'acheter un condo, dont une partie serait payée avec le reliquat de la vente de la propriété ? Les frais de logement s'en trouveraient réduits. Si nécessaire, leurs épargnes de retraite pourraient-elles couvrir le déficit budgétaire résiduel ?

Le lendemain de notre conversation, Denise a envoyé un courriel pour ajouter une dernière précision. « Un autre aspect de notre déménagement à Québec est que nous ne voulons plus avoir de responsabilité d'entretien. Il y a trois ans, mon conjoint a fait un AVC, il a failli mourir donc il veut profiter de la vie. Il a eu de la chance, car toutes les séquelles sont disparues avec le temps. »

Qui peut juger des inquiétudes d'un autre face à l'avenir ?

photo Wojtek Rzazewski, Bloomberg

Les deux conjoints ont organisé leur budget pour en réserver une part importante aux voyages.

PORTRAIT

Denise, 67 ans

• Revenus de travail et rentes : 67 000 $

• REER : 151 000 $

• CELI : 11 000 $

• Régime de retraite : RREGOP

• Revenus de retraite prévus à 68 ans : 23 000 $ net



Sylvain, 57 ans


• Revenus de travail : 76 000 $

• REER: 20 000 $

• Régime de retraite : RREGOP

• Revenus de retraite à 60 ans : 45 000 $ net

Propriété

• Valeur : 215 000 $

• Solde hypothécaire à la retraite : 40 000 $

Budget de retraite

• Frais de logement : 21 200 $

• Épicerie : 8000 $

• Sorties, restaurant, alcool : 7500 $

• Transport : 10 500 $

• Santé : 5200 $

• Vêtements, soins personnels, divers : 7500 $

• Vacances et voyages : 15 000 $

• Total : 74 900 $

• Revenus nets de retraite : 68 000 $

• Déficit : 6900 $

UN BUDGET SÉRÉNITÉ

Il faut rassurer Denise et Sylvain.

Le problème du condo est central, mais c'est la sérénité financière qui est l'enjeu véritable.

La planificatrice financière Nathalie Bachand, du cabinet Bachand Lafleur Groupe conseil, s'y est employée, en reprenant les calculs du couple.

Respectant les normes de l'Institut québécois de planification financière, elle pose d'abord l'hypothèse d'un rendement sur les placements de 3,1 % après les frais, pour un portefeuille sécuritaire.

Elle applique une indexation de 2 % sur les dépenses du couple et les rentes publiques (PSV et RRQ).

Pour les rentes de retraite du RREGOP, toutefois, elle préfère jouer la prudence. 

« Je ne suppose aucune indexation à cause de l'incertitude reliée aux Régimes de pension agréés. » - Nathalie Bachand, planificatrice financière

Sylvain prévoyait retirer sa rente du RRQ dès 60 ans. Mme Bachand recommande plutôt d'attendre à 65 ans. Sans la RRQ, elle évalue donc le revenu net du couple à 65 000 $ jusqu'au 65e anniversaire de Sylvain, « et un peu plus ensuite, lorsqu'il reçoit ses rentes du gouvernement ».

Durant les premières années de retraite, le déficit budgétaire avoisine donc 10 000 $, plutôt que les 6900 $ avancés par le couple.

Mais ne paniquons pas encore.

SCÉNARIO LOYER

Quel serait le portrait si Denise et Sylvain louaient un condo à Québec, selon leurs intentions ? Ils prévoient des frais de logement de 21 200 $ par année, dont un loyer de 1260 $ par mois. Le coût de vie du couple s'établit ainsi à 74 900 $, voyages compris.

Nathalie Bachand y ajoute 5000 $ en 2018 pour le voyage routier en véhicule récréatif qu'elle programme durant leur première année de retraite.

Les 160 000 $ issus de la vente de la propriété seraient en partie déposés dans les CELI de Denise et Sylvain, en fonction de leurs droits accumulés en 2017, soit vraisemblablement 52 000 $ pour lui et 41 000 $ pour elle.

Le reste serait placé en investissements non enregistrés.

C'est avec ces sommes que seront comblés les déficits budgétaires successifs, d'abord en puisant dans les placements non enregistrés, ensuite dans les CELI, « jusqu'à ce qu'ils soient obligés de faire les retraits des Fonds enregistrés de revenus de retraite », indique notre conseillère.

À ce rythme, avec les hypothèses de rendement et d'indexation retenus, les actifs de Denise s'épuisent à 89 ans et ceux de Sylvain à 80 ans. Ensuite ? 

En raison de la perte de pouvoir d'achat - on n'applique aucune indexation sur leurs rentes du RREGOP, rappelle la planificatrice -, ils toucheront alors un revenu net de 54 000 $, en dollars d'aujourd'hui.

« En plus de couper les voyages, ils devront réduire leurs dépenses de 5000 $ supplémentaires chaque année. »

- Nathalie Bachand, planificatrice financière, à propos du scénario loyer

SCÉNARIO ACHAT

Le couple espère trouver un condo à 225 000 $ - Sylvain visait plutôt 200 000 $, mais Denise estime plus réaliste un prix de 225 000 $.

Nathalie Bachand applique le capital de 160 000 $ en mise de fonds, pour un emprunt hypothécaire de 65 000 $.

Avec un taux d'intérêt de 3,5 % et un amortissement sur 15 ans, la mensualité hypothécaire s'établirait à 465 $. Mais il faut compter aussi avec les impôts fonciers. Estimons-les à 200 $ par mois.

Le loyer de 1260 $ est donc remplacé par des mensualités de 665 $.

Et les charges de copropriété, demandez-vous ? Curieusement, notre couple les avait déjà prévues dans son enveloppe de 21 200 $, à raison de 200 $ par mois.

Le déficit annuel est ainsi ramené à environ 2800 $.

Cette somme sera puisée dans les REER du couple, qui seront mis à contribution plus tôt mais plus lentement que dans le premier scénario.

Dans ces conditions, les actifs de Denise et Sylvain s'épuisent respectivement à 92 ans et 83 ans.

« Et ils sont toujours propriétaires du condo, rappelle Nathalie Bachand. Il est clairement plus avantageux d'acheter, considérant les montants en jeu. »

LOYER RAISONNABLE ?

Mais l'estimation du coût de loyer est-elle raisonnable ? Un condo à 225 000 $ est-il réaliste ?

Posant le problème à l'envers, la planificatrice a calculé à combien devrait s'établir le loyer pour procurer aux épargnes de retraite la même longévité que dans le scénario d'achat.

La réponse : 1100 $ par mois. 

Toutefois, Denise et Sylvain ont inclus dans l'enveloppe d'habitation des charges de copropriété de 200 $, en sus du loyer de 1260 $. Normalement, elles devraient être incluses dans le loyer demandé.

Si c'est le cas, le loyer kif-kif grimpe à 1300 $. 

« Mais ils n'ont pas l'actif du condo à la fin », souligne Nathalie Bachand.

SURPRISE !

Il y a toutefois une surprise : dans ses calculs budgétaires, Mme Bachand a maintenu le plein budget voyage jusqu'à épuisement des épargnes. Ce sera une marge de manoeuvre supplémentaire, ou l'occasion de voyager plus longtemps.

Bref, un peu plus de sérénité au budget.