Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Luc de la Durantaye, qui est directeur gestionnaire à l'allocation d'actifs et la gestion des devises chez Gestion d'actifs CIBC, à Montréal.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse ?

Il y a plusieurs événements dans l'actualité économique et financière internationale qui préoccupent les marchés, dont l'issue de cette autre crise financière en Grèce.

Mais de mon point de vue, l'événement le plus significatif pour les investisseurs boursiers est le message encore très hésitant qui est ressorti d'une autre réunion du conseil de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed).

En fait, la Fed a étonné un peu en réitérant son attitude de prudence et de passivité avant de remonter les taux d'intérêt encore très bas, parce qu'elle demeure insatisfaite de la progression de l'économie américaine.

En demeurant aussi passive, la Fed forcera sans doute les autres principales banques centrales du monde, en Europe, au Japon et au Royaume-Uni notamment, à rajuster leur propre politique monétaire à court terme.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment ?

Après cet autre message d'insatisfaction économique provenant de la Fed, nous sommes encore plus attentifs envers les principaux indices économiques aux États-Unis.

Les plus importants à court terme sont ceux relatifs au marché du travail, en particulier l'évolution des salaires - une remontée ? - qui est attendue en suivi du regain de la création d'emplois depuis deux ans.

Lorsqu'elle surviendra, cette remontée des salaires devrait rehausser la confiance des consommateurs. Et cette confiance accrue devrait favoriser le très important secteur des ventes au détail aux États-Unis, qui ont été un peu faibles depuis le début de l'année en dépit de l'impact favorable de la chute du prix de l'essence.

Quant aux autres indices économiques que nous surveillons le plus ces temps-ci aux États-Unis, il y a ceux relatifs aux investissements en immobilisations des entreprises, où un rebond est nécessaire après une longue panne sèche.

Ce rebond serait aussi un indice très attendu de regain de confiance des entreprises envers leurs perspectives de croissance rentable.

En ce sens, nous avons aussi un oeil sur les indices des directeurs des achats des entreprises. Il s'agit d'un autre indicateur de confiance des entreprises, mais à plus court terme que ceux relatifs aux investissements.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

C'est une question très difficile ces temps-ci. En fait, l'allocation de nouveaux placements a rarement été aussi compliquée, d'autant que la Bourse américaine est considérée comme en pleine valeur, sinon surévaluée dans certains secteurs.

De plus, les investisseurs s'interrogent comme rarement auparavant sur l'impact en Bourse d'une remontée des taux par la Fed, maintes fois décalée.

Entre-temps, la persistance de très bas taux (de rendement des obligations) continue de pousser les investisseurs vers des placements plus risqués, comme les actions en Bourse.

Cela dit, hors de la Bourse américaine, il y a quelques marchés boursiers qui nous apparaissent encore attrayants. Parmi les économies émergentes, par exemple, nous préférons la Chine, quoique de façon sélective, et quelques autres pays d'Asie comme l'Indonésie, où nous avons acheté des obligations récemment. Le Mexique aussi nous intéresse pour la Bourse, mais aussi ses obligations à haut rendement (taux plus élevés).

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci ?

Les obligations des gouvernements d'économies développées demeurent très peu, sinon pas du tout attrayantes, avec la persistance de leurs taux de rendement réel (intérêt) très bas.

Pour les placements boursiers, nous préférons nous abstenir ces temps-ci d'investir davantage dans la Bourse américaine, considérant qu'elle est rendue un peu chère et qu'il y a un risque d'impact négatif avec les prochaines décisions de la Fed avec sa politique monétaire (taux d'intérêt, valeur du dollar).

Au Canada, notre allocation de placements est relativement neutre ces temps-ci. Même les actions de grandes banques - des valeurs sûres habituellement - sont d'un attrait mitigé en raison de leurs perspectives limitées de croissance des résultats au cours des prochains trimestres.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement ?

Personnellement, j'envisage la possibilité que la croissance économique aux États-Unis surprenne un peu par sa vigueur au cours des prochains trimestres. Surtout après un début d'année 2015 plus lent qu'attendu, accompagné d'une faiblesse persistante et même accentué par les taux de rendement obligataires (taux d'intérêt).

Les principales banques centrales, dont la Fed, continuent de signaler qu'elles veulent prendre leur temps avant d'amorcer un redressement des taux ou une réduction de leurs mesures quantitatives (rachats massifs d'obligations).

Mais si la croissance aux États-Unis s'avérait plus forte que prévu, autour de 3,5 % annualisé et création de plus de 250 000 emplois en un mois, ça pourrait raviver les perspectives d'inflation et, du coup, bousculer les attentes à l'égard de la politique monétaire de la Fed et des autres banques centrales d'importance.

LE PARCOURS DE LUC DE LA DURANTAYE

Chez Gestion d'actifs CIBC, Luc de la Durantaye dirige de Montréal l'équipe de la répartition de l'actif et de la gestion des devises. Cette équipe de 21 gestionnaires de portefeuille, analystes et négociateurs est responsable de 23 milliards d'actifs.

Luc de la Durantaye a 28 ans d'expérience dans les placements, dont plusieurs années comme directeur à Toronto avant de revenir à Montréal, sa ville natale. Il détient le titre d'analyste financier agréé (CFA) et est titulaire d'un baccalauréat en finances internationales de HEC de Montréal.