Les jeunes adultes sont de plus en plus nombreux à profiter de la maison familiale. Près d'un Québécois sur cinq âgé de 25 à 29 ans vivait encore chez ses parents en 2011, selon Statistique Canada. Un Canadien sur dix âgé de 30 à 34 ans y demeurait toujours, deux fois plus qu'en 1981. Une tendance qui a ses coûts et certains avantages financiers.

C'est la faute à l'économie

Plusieurs Tanguy choisissent de rester chez leurs parents pour des raisons relativement simples : études prolongées, séparation, problèmes financiers ponctuels, détour entre deux logements, maladie, valeurs culturelles. Pourtant, le contexte économique et la transformation du marché de l'emploi sont les deux causes principales qui font augmenter les statistiques.

Afin de comprendre le phénomène, La Presse Affaires s'est entretenue avec Katherine Scott, vice-présidente de la recherche au Conseil canadien du développement social.

À quel moment dans l'histoire les Tanguy sont-ils devenus plus nombreux ?

À partir de la crise économique des années 80. Le baby-boom qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale a inondé le marché de travailleurs.

Inévitablement, les membres de la génération suivante ont eu beaucoup de difficulté à trouver un emploi et à être indépendants financièrement. Plusieurs d'entre eux ont donc choisi de poursuivre leurs études plus longtemps, afin de développer des habiletés et des connaissances qui les rendraient attrayants pour les employeurs. Ces études postsecondaires ont mené beaucoup d'étudiants à s'endetter et à reporter leur départ de la maison familiale.

À quel point la situation a-t-elle été influencée par la nature des emplois disponibles ?

Au Québec et en Ontario, pendant plusieurs décennies, de nombreux travailleurs avaient des postes très bien rémunérés dans l'industrie manufacturière. Avec la récession de 80 et celle très sévère de 90, beaucoup d'emplois de ce genre ont été perdus. Durant cette période, plusieurs jeunes gens étaient incapables de quitter la maison familiale, puisqu'ils n'arrivaient pas à trouver d'emploi. Depuis, les postes permanents et les bons salaires se font plus rares.

Pourquoi y a-t-il deux fois plus de Tanguy aujourd'hui qu'en 1981 ?

Les attentes sociales ont considérablement changé. Avant, on voyait la jeune vingtaine comme le moment opportun pour finir ses études, acheter une maison et se caser. De nos jours, le mariage, le premier enfant et l'achat d'une demeure sont des étapes de vie qui peuvent être franchies plus tard. Aussi, l'accès à la propriété est plus difficile que jamais. Au cours de la dernière décennie, les prix ont grimpé en flèche. Au Canada, une maison coûte en moyenne 400 000 $. C'est hors de portée pour les jeunes. Surtout qu'ils ont des dettes d'études importantes et que les emplois permanents bien payés, permettant de payer l'hypothèque, sont moins nombreux. Avec l'augmentation du nombre d'emplois temporaires et à temps partiel, les jeunes se battent pour une plus petite quantité de bons emplois.

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L'or pour l'Ontario


L'Ontario est la championne canadienne des Tanguy. Une personne sur trois âgée de 25 à 29 ans habite encore chez ses parents en Ontario. À l'inverse, la Saskatchewan est la province canadienne qui compte le moins de Tanguy, avec 15,3 % des jeunes de 25 à 29 ans.

Source : Statistique Canada

Où trouver des Tanguy au Québec?

Top 3 des villes avec le plus de Tanguy de 25 à 29 ans au Québec :

- Montréal métropolitain 22,3 %

- Sorel-Tracy 21 %

- Lachute 20 %

Source : Statistique Canada

Où trouver le moins de Tanguy au Québec?

Top 3 des villes avec le moins de Tanguy de 25 à 29 ans au Québec :

- Rivière-du-Loup 11,3 %

- Sherbrooke 11,2 %

- Rouyn-Noranda 10,6 %

Source : Statistique Canada

La jeunesse européenne a la vie dure

Durement frappés par la dernière crise économique, les Européens de 18 à 29 ans demeurant avec leur famille sont passés de 44 % à 48 % entre 2007 et 2011. En 2007, 7 % des jeunes de 18 à 29 ans se disaient sans emploi, contre 14 %, quatre ans plus tard.

Source : sondage mené par Eurofound

Une pension aux Tanguy?

La pratique est peu répandue, mais il existe bien quelques parents qui font payer une pension aux enfants de la génération Tanguy. Cette forme de « loyer » peut mener à plusieurs résultats : apprendre aux jeunes adultes à prendre leurs responsabilités, les rapprocher de la « vraie vie », développer leur indépendance financière ou les inciter à se trouver un premier emploi. Certains parents peuvent même en profiter pour tirer leur épingle du jeu d'un point de vue fiscal.

Impôts sur la pension : oui et non

« La participation financière d'un enfant comme colocataire dans l'unité d'habitation de ses parents n'est pas un revenu imposable pour les parents, souligne Gaétan Veillette, planificateur financier chez Groupe Investors. Les dépenses ne sont pas déductibles sur la déclaration de revenu des parents.

« Toutefois, si la résidence comporte une unité d'habitation distincte - comme un studio au sous-sol avec une adresse civique distincte ou une résidence secondaire occupée par l'enfant - la situation peut s'avérer différente, précise-t-il. Il faut évaluer chaque cas pour établir s'il s'agit d'un revenu locatif ou d'une simple contribution d'un membre de la famille pour compenser aux frais de l'habitat ou de subsistance. »

Tenez compte de...

1 - Si vous essayez de déduire vos dépenses locatives, attendez-vous à ce que le fisc vous demande de prouver que le loyer correspond à sa juste valeur marchande. Une démarche qui peut s'avérer complexe.

2- Si vous louez 4 pièces dans votre maison de 10 pièces, vous pouvez déduire les sommes suivantes :

- 100 % des dépenses qui se rapportent aux pièces louées (réparations et l'entretien) ;

- 40 % des dépenses qui se rapportent à l'ensemble de l'immeuble, comme les taxes et les assurances.

3- Vous pouvez déduire une partie des dépenses qui se rapportent aux pièces non louées que vous et vos pensionnaires utilisez en commun. Le calcul des dépenses peut être basé sur le droit d'accès aux pièces ou le nombre de personnes qui les partagent. Les dépenses peuvent aussi être établies à partir du pourcentage du temps que les pensionnaires passent dans les pièces non louées.

4- Si votre enfant vous verse une pension qui couvre seulement sa part de l'épicerie et de l'entretien de la maison, vous n'avez pas à la déclarer et vous ne pourrez pas déduire vos dépenses.

5 - Si votre enfant reste à la maison parce qu'il poursuit des études postsecondaires, vérifiez sa situation fiscale. S'il ne paie pas d'impôt parce que ses revenus sont trop faibles, il pourrait vous transférer ses crédits d'impôt pour études et frais de scolarité.

Source : Groupe Investors

Faire décoller les « Tanguy »

Selon Gaétan Veillette, il n'est pas déshonorant pour un enfant de rester longtemps à la maison de ses parents, si la situation est justifiée. Notamment par sa contribution aux affaires du foyer, son avancement personnel ou professionnel, son cheminement d'études, sa réorientation de carrière ou sa condition de santé. Il existe toutefois des exceptions. « Il est déplorable qu'un enfant capable de s'assumer devienne un parasite à la charge des parents, affirme-t-il. Dans les circonstances, les parents doivent se positionner et exercer leur leadership pour responsabiliser leur enfant. »

Plan de match

1. Signifier les coûts de subsistance et les limites du pourvoyeur ;

2. Établir un plan d'action visant l'émancipation de la personne à charge : l'amener à faire des petits pas pour rencontrer un orienteur, s'inscrire aux études ou solliciter un emploi ;

3. Attribuer des tâches : entretien et rénovation de la maison, aide aux parents et aux autres membres de la famille, faire les commissions, préparer les repas, etc. ;

4. Demander une contribution financière aux enfants aptes à le faire ;

5. Ne pas fournir d'argent à l'enfant sans vérifier son plan d'action ;

6. Prévoir une répartition équitable du patrimoine net au décès, par exemple en ajoutant une clause testamentaire diminuant la part du patrimoine destiné à celui qui a encore des dettes envers ses parents.

Source : Groupe Investors

Cas rencontrés par le planificateur financier

Un garçon de 19 ans, qui gagnait 40 000 $/an, sans payer de frais de subsistance, a annoncé à ses parents qu'il prévoyait acheter une voiture sport de 60 000 $. Ses parents ont réagi en lui imposant une pension de 600 $/mois. Le fils a procédé à l'achat, tout en payant une pension à ses parents.

Une fille de 17 ans évaluait l'idée d'abandonner ses études pour réfléchir à son avenir pendant un an. Son père lui a rappelé qu'il assumait sa subsistance seulement lorsqu'elle était aux études. Si elle prenait une pause, il allait lui réclamer 80 $/semaine. Elle a choisi de poursuivre ses études.

Génération boomerang

Au Japon, on parle d'eux comme des « célibataires parasites ». Chez les Anglo-Saxons, ils font partie de la « Boomerang Generation ». À travers la francophonie, ils ont trouvé un nom officiel après la sortie du film Tanguy (2001), dont le personnage éponyme, un jeune homme de 28 ans bardé de diplômes, vit chez ses parents malgré son indépendance financière.

Dans le film, les parents du personnage font tout ce qu'ils peuvent pour pousser leur grand garçon hors du nid familial. Dans la réalité, les Tanguy rencontrés par La Presse Affaires vivent un tout autre scénario.

L'Italo-Québécoise

Âgée de 26 ans, Nadia est l'une des nombreuses Italo-Québécoises à demeurer chez ses parents après la mi-vingtaine. « Dans ma famille, on ne déménage pas avant d'être placé dans la vie, d'avoir un très bon travail ou d'être marié, souligne-t-elle. Pour nous, c'est ridicule de s'en aller et de «rusher» dans la vie, ou de perdre de l'argent en payant un loyer. Mes amis québécois sont toujours surpris d'apprendre que je vis chez mes parents, mais tous les Italiens que je connais sont dans la même situation que moi. »

Au quotidien, l'étudiante en linguistique participe aux tâches ménagères, mais ne paye pas de pension. « J'ai accumulé beaucoup d'économies grâce à ça. Une de mes amies est déménagée au début du cégep et elle est toujours dans le rouge. Moi, j'ai beau avoir trois emplois cet été, je ne me prive de rien. Et ça se passe très bien chez mes parents. Si je vivais avec eux jusqu'à 30 ans, ils seraient très heureux. »

La vieille fille

À l'aube de la quarantaine, Anne, une avocate québécoise d'origine vietnamienne, vit chez ses parents afin de respecter la tradition. « Dans les familles asiatiques, traditionnellement, une fille célibataire non mariée doit rester avec sa famille, explique-t-elle. Quand j'avais 24 ans, une amie de mon âge a quitté la maison de ses parents. Quand ma mère a appris ça, elle était outragée et elle m'a fait comprendre que j'étais mieux de ne pas l'imiter.

« Si j'avais eu un travail à Ottawa ou Toronto, j'aurais eu une bonne excuse pour partir, sans faire de vague. Mais avec un boulot à Montréal, j'aurais insulté ma famille si j'avais déménagé. Aujourd'hui, les moeurs ont évolué. Ma cousine de 25 ans pourrait partir en appartement sans problème. Mais si j'allais vivre avec un homme, ma mère capoterait encore. »

Pendant des années, Anne payait les assurances de la maison familiale et certaines dépenses courantes. Depuis que sa situation économique s'est stabilisée, elle paie la moitié de l'hypothèque. « La maison est au nom de mes parents, mais à leur décès, elle va me revenir. » Sa mère est responsable des repas de la maisonnée et Anne vit dans une chambre sur le même étage que celle de ses parents.

La maman très accueillante

Électricien de profession, Maxime vit chez sa mère sans payer de pension, même s'il gagne plus de deux fois plus d'argent qu'elle. Avec un studio au sous-sol, une télévision, une salle d'eau personnelle, un accès au spa et à la cour arrière, le jeune homme de 26 ans est traité aux petits oignons. « Je fais les repas, le ménage et le lavage, précise sa mère, Martine. Tant qu'à mettre un morceau dans la laveuse, je ramasse tout.

« J'ai toujours voulu que mes enfants se sentent bien chez eux. Quand ils étaient plus jeunes, la maison était le quartier général du quartier. C'est probablement de ma faute s'il n'a pas envie de partir... »

Depuis peu, la situation est source de blagues entre la mère et le fils. « Ça devient une drôle de relation. Quand il était enfant, je pouvais exiger des choses en tant que parent. Mais depuis qu'il est adulte, je ne peux pas vraiment lui dire de se ramasser. C'est mon fils et mon coloc en même temps. Je trouve qu'il est temps qu'il parte, pour moi et pour lui. À son âge, c'est un peu étrange de dire qu'il vit chez sa mère. »