Claudia et Sylvain ne manquent pas de projets. Mais ils semblent parfois se laisser emporter par leur enthousiasme, au point de négliger de réfléchir aux conséquences financières de leurs décisions. Et ils se retrouvent maintenant avec des dettes lourdes à porter.

Au cours des dernières années, ils ont acheté trois triplex, en se servant chaque fois de l'augmentation de la valeur de la propriété précédente comme levier financier pour d'autres acquisitions.

Ils avaient de bons emplois, avec de bons salaires, et vivaient confortablement. Puis, Claudia a perdu son emploi dans le secteur hôtelier, il y a un an.

Mais ça n'a pas tempéré les ardeurs du couple : tout en recevant des prestations d'assurance-emploi, la quinquagénaire s'est lancée dans un projet d'acquisition de commerce. L'affaire a malheureusement déraillé l'automne dernier. Claudia s'est retrouvée le bec à l'eau.

Qu'à cela ne tienne, les projets ont continué de plus belle : le couple a acheté un condo en Floride et une voiture neuve en décembre dernier. Même si Claudia était toujours au chômage.

« On rêvait depuis longtemps d'avoir une propriété en Floride, et on a acheté sur un coup de tête, en mettant une mise de fonds de 10 000 $, prise sur notre marge de crédit, explique-t-elle. Mais ensuite, notre institution financière a refusé de nous accorder un prêt hypothécaire, parce que notre ratio d'endettement était trop élevé. »

Signal d'alarme

Une autre institution financière a accepté de leur prêter, mais l'épisode a servi de signal d'alarme : le couple a réalisé qu'il avait un problème. Surtout qu'il venait d'acheter un véhicule de 42 000 $, qui lui coûte 630 $ par mois. Claudia justifie cet achat en expliquant qu'ils avaient auparavant deux voitures et qu'ils se contentent maintenant d'une seule.

Il faut dire qu'ils comptaient sur la vente rapide du bungalow où ils habitent depuis 10 ans pour améliorer leur situation financière. Ils ont d'ailleurs déjà emménagé dans l'un de leurs triplex il y a quelques mois. Mais la maison n'a toujours pas trouvé d'acheteur, après neuf mois.

Claudia a déniché un nouvel emploi, mais elle gagne maintenant 25 000 $ de moins qu'avant. De plus, même si elle dit avoir réduit les dépenses pendant sa période sans emploi, le couple a accumulé des dettes de consommation de 35 000 $ pendant cette période. Lors du renouvellement récent de l'une des hypothèques, cette somme a été consolidée grâce au prêt hypothécaire, pour réduire les frais d'intérêt. Mais le couple doit encore près de 50 000 $ sur une marge de crédit et des cartes de crédit, des dettes qu'il traîne depuis environ deux ans. « Quand on fait des rénovations sur les triplex, ça coûte toujours plus cher que prévu », explique Claudia.

Elle a pris conscience à la dure de la précarité du marché de l'emploi. Avec la vente de la maison qui tarde, elle réalise que le couple doit absolument se dégager une marge de manoeuvre budgétaire, pour pouvoir faire face aux imprévus. « Mais on n'arrive pas à diminuer nos dettes, même si on essaie de réduire nos dépenses », s'inquiète-t-elle.

Ils doivent absolument redresser leur situation, afin de pouvoir continuer de poursuivre leurs rêves.

PORTRAIT

Claudia, 53 ans

Organisatrice d'événements

Salaire : 50 000 $

REER : 154 000 $

CELI : 2000 $

Sylvain, 47 ans

Informaticien

Salaire : 83 000 $

REER : 70 000 $

***

Dettes de consommation :

Marge de crédit : 26 200 $ à 8 % d'intérêt

Cartes de crédit : 22 840 $ sur trois cartes, à 9 %, 15 % et 19 % d'intérêt

Prêt auto : 40 000 $ à 0,9 % d'intérêt, pour 6 ans (630 $/mois)

Remboursement des dettes : 1730 $/mois

Frais d'intérêts : 493 $/mois

Actifs immobiliers :

Triplex no 1

Acheté en 2007 au prix de 315 000 $

Valeur : 460 000 $

Solde hypothécaire : 345 000 $ à 2,99 % d'intérêt

Amortissement restant : 25 ans

Mensualité : 1900 $

Revenu locatif : 2337 $/mois

Triplex no 2

Acheté en 2010 au prix de 330 000 $

Valeur : 575 000 $

Solde hypothécaire : 427 000 $, à 2,65 % d'intérêt

Amortissement restant : 26 ans

Mensualité : 1749 $

Revenu locatif : 3030 $/mois

Triplex no 3

Ils y habitent depuis quelques mois.

Acheté en 2011 au prix de 395 000 $

Valeur : 445 000 $

Solde hypothécaire : 316 000 $ à 2,99 % d'intérêt

Amortissement restant : 22 ans

Mensualité : 1855 $

Revenu locatif : 1570 $/mois

Condo en Floride : 

Acheté en décembre 2013

Valeur : 149 000 $

Pas d'hypothèque (l'achat a été fait en réhypothéquant la maison).

Charges de copropriété : 300 $/mois

Revenu locatif : 1200 $/mois

Maison individuelle

À vendre depuis 9 mois

Achetée en 2003

Valeur : 216 000 $

Solde hypothécaire : 136 000 $ à 4,7 % d'intérêt (prêt ouvert)

Amortissement restant : 24 ans

Mensualité : 330 $

Tous les immeubles

Mensualités hypothécaires totales : 5834 $

Revenus locatifs totaux : 8139 $

***

Revenu net total du ménage : 11 200 $/mois

Dépenses totales : 12 200 $/mois

Déficit du budget : 1000 $/mois

SOLUTION : Mettre la hache dans les dépenses pour sortir la tête de l'eau

« On semble être devant un cas typique de consommateurs qui se lancent dans des projets sans réfléchir aux conséquences financières. Ils ont acheté un condo en Floride, avant même de s'être assurés de pouvoir obtenir un prêt hypothécaire, et ont acheté une voiture neuve, alors que leur maison n'est toujours pas vendue, souligne le planificateur financier Pierre D'Argenzio, de la Banque Royale. Quand ces gens font face à une perte d'emploi ou à une baisse de salaire, ils se retrouvent en situation précaire. »

Claudia et Sylvain doivent immédiatement réduire leurs dépenses, qui dépassent actuellement leurs revenus de 1000 $ par mois, dit-il. En fait, Claudia n'était pas consciente de ce déficit, avant que nous le lui fassions remarquer, après avoir pris connaissance de son budget. La situation actuelle est un peu absurde : le couple dit consacrer 1100 $ chaque mois au remboursement de ses cartes et marge de crédit, mais il lui manque 1000 $ par mois. Donc, de nouvelles dépenses doivent inévitablement se retrouver sur la carte de crédit, dont le solde ne baisse jamais.

« Ils doivent absolument revoir leur style de vie, ils ne peuvent pas continuer de dépenser comme ils le font maintenant », observe Robert Gorgui, qui s'est aussi penché sur la situation du couple avec son collègue de la Banque Royale.

Les deux planificateurs financiers font remarquer que le budget de Claudia et de Sylvain indique des dépenses considérables pour l'entretien ménager et paysager (355 $/mois) et pour les vacances (425 $/mois), qui représentent près de 10 000 $ par année. « Ce n'est pas à nous de leur dire où faire des coupes, mais en cas de déficit, les seules options possibles, c'est de réduire les dépenses ou d'augmenter les revenus », note M. D'Argenzio.

Le couple doit aussi s'attaquer à ses dettes de façon plus stratégique, pour être efficace, en commençant par la dette la plus coûteuse en intérêts, soit la carte de crédit à 19 %, explique Robert Gorgui. Jusqu'à ce qu'elle soit remboursée au complet, ils doivent payer seulement le minimum requis chaque mois sur les autres cartes et sur la marge de crédit. Ils pourront ensuite s'attaquer à la deuxième, et ainsi de suite jusqu'au remboursement total.

« En ce moment, tant qu'il y a un solde impayé sur une carte de crédit, ils paient des intérêts sur le montant de tous les nouveaux achats », signale M. Gorgui.

Vendre la maison

Bien sûr, la vente de la maison leur donnerait un coup de pouce immédiat. Peut-être le couple devrait-il songer à réduire son prix, suggèrent nos deux experts. Ils doivent prendre en considération les frais d'intérêts qu'ils paient chaque mois sur leurs dettes, et le stress que leur cause leur situation financière.

Au moment de la vente, après avoir remboursé le solde hypothécaire et payé la commission de l'agent d'immeuble, il leur restera 70 000 $. La priorité : payer les cartes de crédit et la marge de crédit. Les 20 000 $ restants doivent servir à la création d'un fonds d'urgence, à déposer dans des CELI.

Le budget du couple retrouverait l'équilibre, mais sans grande marge de manoeuvre : seulement 200 $ de surplus mensuel. C'est pour cette raison que les planificateurs financiers insistent sur la nécessité de réduire les dépenses. « La vente d'un des triplex ne changerait rien à leur problème de liquidités, c'est vraiment du côté des dépenses qu'ils doivent regarder », dit M. D'Argenzio. Ils devront épargner 10 000 $ de plus dans leurs CELI, pour que la taille de leur coussin de sécurité soit adéquate.

Ensuite, quand ils auront sorti la tête de l'eau, ils devront se pencher sérieusement sur la planification de leur retraite.

PERSPECTIVE : Trop de brique, pas assez de liquide

Claudia et Sylvain se sont servis de l'effet de levier pour acheter leurs propriétés à revenus. Ils comptent sur leurs immeubles pour assurer leurs revenus de retraite. Mais ils ont peut-être poussé l'exercice un peu trop loin.

« C'est bien beau, l'effet de levier, mais ils ne seraient sans doute pas à l'aise d'emprunter autant pour acheter des actions », souligne Pierre D'Argenzio, de la Banque Royale, en notant que 90 % des actifs du couple sont des immeubles, ce qui est peut-être disproportionné. « Ils ont 2 millions d'actifs immobiliers, mais 1,1 million de dettes. »

Il se demande aussi si le but recherché par le couple, en achetant des triplex, sera vraiment atteint. Étant donné les longues périodes d'amortissement des prêts sur les immeubles, il faudra du temps avant qu'ils puissent vraiment en tirer des bénéfices. Quand le dernier prêt sera remboursé, Sylvain aura 73 ans, remarque M. D'Argenzio. « L'équité dans leurs immeubles, ils n'en profitent pas en ce moment, dit-il. Et s'ils comptent vendre au moment où ils auront besoin de liquidités, on ne sait pas si ce sera le bon moment pour avoir un bon prix. »

Avec son collègue Robert Gorgui, M. D'Argenzio a regardé comment s'en sortiraient Claudia et Sylvain en cas de hausse des taux hypothécaires : une augmentation de 2 % créerait un déficit de 900 $ par mois dans le budget du couple. « Le risque d'une hausse de taux existe toujours, et ça pourrait leur faire mal », note M. Gorgui.