Lucie et René ont payé leur maison 124 000 $, il y a 18 ans, en empruntant 110 000 $. Aujourd'hui, le solde de leur prêt hypothécaire s'élève à... 270 000 $ ! Comment se fait-il, après toutes ces années de paiements, que leur dette ait gonflé plutôt que fondu ?

C'est que, au fil des renouvellements hypothécaires, le couple au début de la cinquantaine a ajouté à son prêt de multiples dettes de consommation.

Lesquelles ? Y a-t-il eu des dépenses imprévues particulièrement importantes ? René ne peut le dire précisément, à part pour la rénovation de leur cuisine, en 2011, qui a coûté 25 000 $.

Normalement, si aucune nouvelle somme n'avait été ajoutée, René et sa conjointe ne devraient plus que 48 000 $ environ sur leur prêt de 110 000 $, s'il avait été amorti sur 25 ans au départ. Il leur resterait sept années de paiements, ou moins, puisque les faibles taux hypothécaires des dernières années ont permis à bien des propriétaires d'accélérer le remboursement de leur capital. Mais si le couple avait tout de même décidé d'étirer ses paiements sur 25 ans, ses mensualités hypothécaires seraient actuellement de 667 $.

Au lieu de cela, leur solde est de 270 000 $, leurs paiements s'élèvent à 1777 $ par mois et il leur reste plus de 19 ans à payer.

Ce sont les dépenses courantes de la famille qui font grimper sans cesse la dette. « Je dirais que nos dépenses dépassent nos revenus de 500 $ à 1000 $ par mois », dit René, qui est de plus en plus inconfortable dans cette situation. Une partie du problème vient, selon lui, du fait que les revenus de sa conjointe, travailleuse autonome, fluctuent beaucoup. « Elle a déjà eu des revenus de 75 000 $ certaines années. Mais elle a beaucoup de difficulté à trouver des contrats depuis un certain temps, et ses revenus sont plutôt autour de 15 000 $ ou 20 000 $ », explique son conjoint. Visiblement, le couple n'a pas su s'adapter à cette diminution des revenus.

René est conscient qu'ils ne peuvent continuer ainsi. Il cherche des solutions. Par exemple, demander une contribution de leurs deux enfants : le plus jeune, âgé de 18 ans, travaille à temps plein au salaire minimum en attendant de choisir un domaine d'étude, et la plus vieille, 20 ans, étudie à l'université tout en travaillant à temps partiel. « On pourrait leur demander une pension, 100 $ par mois peut-être?», se demande leur père. Mais cette somme ne ferait pas une grande différence sur la situation du couple.

L'une des options envisagées par René est d'aménager un logement à l'étage de leur cottage montréalais pour en tirer un revenu. Mais il n'y aurait alors plus beaucoup de place pour les enfants à la maison. « Ou alors, on pourrait carrément vendre la maison pour déménager en condo ou dans un logement », dit-il.

Bref, toutes les avenues doivent être explorées. Parce que le statu quo n'est pas une option.

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PORTRAIT

René, 51 ans

Informaticien

Revenu : 85 000 $

REER : 20 000 $

Bénéficie du Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP), qui lui donnera une rente représentant 70 % de son salaire à 65 ans

Lucie, 50 ans

Pigiste dans le domaine des arts

Revenu : 15 000 $ à 20 000 $

Aucun REER, aucun fonds de retraite

Deux enfants:

Chloé, 20 ans, étudiante universitaire

Salaire, travail à temps partiel : 10 000 $

Étienne, 18 ans, travaille à temps plein

Salaire : 20 000 $

- Maison payée 124 000 $ en 1995

Valeur actuelle : environ 380 000 $

Prêt hypothécaire : 250 000 $

Marge de crédit hypothécaire : 20 000 $

Dettes sur carte de crédit : 5000 $

- Principales dépenses mensuelles:

Hypothèque : 1777 $

Épicerie : 1400 $

Retraits au guichet : 390 $

Essence : 340 $

Restos et alcool : 275 $

Assurance-vie : 230 $

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SOLUTION : Vendre la maison pour sauver les meubles

La planificatrice financière Sophie Labonne, conseillère principale pour la Banque Nationale, n'y va pas par quatre chemins en voyant la situation financière de Lucie et René : « Le couple fonce droit dans un mur, dit-elle. Ils se servent de l'augmentation de la valeur de leur propriété pour vivre au-dessus de leurs moyens. Ils doivent revoir de fond en comble leur façon de consommer. Et dans l'immédiat, ils n'ont d'autres choix que de vendre leur maison. »

Le constat est brutal. S'ils ne font rien maintenant, leur situation est sans issue. « C'est un problème que l'on voit souvent, note Mme Labonne. Ils croient qu'ils sont riches parce que leur maison a pris de la valeur, mais ils sont en réalité très pauvres. En fait, leur maison les étouffe. »

Le couple est dans une telle mauvaise posture, selon elle, qu'il ne vaut même pas la peine d'envisager des travaux pour aménager un logement dans la maison. « Le coût des travaux viendrait alourdir la dette actuelle, et au moment de la revente, il y aurait un gain en capital imposable sur la partie locative », souligne-t-elle.

S.O.S. retraite

En fait, à la dette qui augmente sans cesse s'ajoute un autre motif d'inquiétude pour Sophie Labonne : l'absence totale d'épargne retraite pour Lucie. « René a un bon régime de retraite, alléluia ! Mais sa conjointe n'a rien de côté à 50 ans, c'est dramatique ! », lance-t-elle. S'ils ne changent pas de cap, leur retraite risque d'être bien morose. Surtout qu'avec l'hypothèque actuelle, ils n'auront pas fini de payer avant l'âge de 71 ans. Les revenus de retraite de René ne seront pas suffisants pour les faire vivre tous les deux. « J'espère qu'ils n'ont pas l'intention d'arrêter de travailler bientôt », ajoute la spécialiste.

Voici la prescription de Sophie Labonne pour aider le couple à s'en sortir:

1. Vendre la maison

Selon Sylvain Savignac, évaluateur agréé, la maison vaut 380 000 $. Une fois l'hypothèque et la marge de crédit remboursées, et le solde de la carte de crédit payée, il restera 105 000 $ au couple.

2. Épargner dans un REER de conjoint

René a 62 000 $ en droits de cotisation REER inutilisés. Mme Labonne lui suggère d'utiliser tous ses droits pour prendre un REER de conjoint au bénéfice de Lucie. « Cette stratégie permet à René, qui a le salaire le plus élevé, de réduire son taux d'imposition, puisque c'est lui qui prend la déduction, dit-elle. Mais au moment du retrait, sa conjointe prendra la cotisation, ce qui est un avantage puisqu'elle aura un revenu moindre. »

Pour maximiser la réduction d'impôts, il devrait échelonner sa déduction sur deux ans, recommande Mme Labonne : une première tranche de 40 000 $, la première année, lui donnera un remboursement d'impôts de 15 570 $, et une seconde tranche de 22 000 $ lui donnera 8670 $ l'année suivante.

3. Constituer un coussin de sécurité

Le couple n'a aucune épargne pour faire face aux imprévus. « Normalement, on recommande d'avoir l'équivalent de trois mois de dépenses, mais pour les travailleurs autonomes, c'est plutôt six mois », souligne la planificatrice financière. Comme Lucie est pigiste, le ménage devrait mettre de côté l'équivalent de quatre mois de dépenses, soit environ 16 000 $, dit-elle, qui proviendra du remboursement d'impôts (15 570 $) de la première année de cotisation au REER de conjoint.

4. Prendre des CELI

Une autre portion d'épargne retraite pour Lucie pourrait provenir de CELI. « Étant donné ses faibles revenus, ça ne vaut pas la peine pour Lucie de prendre des REER », explique Mme Labonne.

Après la cotisation au REER de conjoint, il restera 43 000 $ dans la cagnotte provenant de la vente de la maison. Cette somme devrait être séparée dans des CELI au nom de chaque conjoint (21 500 $ chacun). Le remboursement d'impôts provenant de la cotisation REER de la deuxième année (8670 $) pourra aussi être versé dans les CELI.

5. Avoir une bonne discussion avec les enfants

« C'est malheureux, mais ils n'ont pas le choix de demander à leurs enfants de contribuer aux dépenses, dit Mme Labonne. Ils doivent absolument réduire leur consommation, mais avec deux jeunes adultes à la maison, les dépenses montent vite. »

6. Prendre un logement

Après avoir fait ses devoirs, le couple aura assaini sa situation, mais n'aura plus de liquidités. Surtout que le paiement d'une éventuelle commission à un agent d'immeuble et les frais de déménagement n'ont pas été pris en compte. Impensable, donc, d'acheter une nouvelle propriété. « Ils doivent trouver un loyer beaucoup moins élevé que ce qu'ils paient actuellement pour leur hypothèque, pour maintenir une stratégie d'épargne qui leur permette d'avoir une retraite décente », souligne Sophie Labonne.

« Je me sens comme la fourmi qui dit à la cigale : vous avez chanté, et bien dansez maintenant !, ajoute la planificatrice financière. Ils ont des sacrifices à faire pour les prochaines années, et on ne parle pas de couper une bouteille de vin ici et là. Mais en posant les bons gestes, ils réussiront à redresser leur situation. »

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PERSPECTIVE : Payant, l'aménagement d'un logement ?

Les travaux envisagés par René pour transformer sa maison en duplex et tirer un revenu de loyer du deuxième étage ne sont pas recommandés par la planificatrice financière Sophie Labonne.

Mais par curiosité, nous avons demandé à un évaluateur agréé, Sylvain Savignac, de la firme Devimo, de calculer ce qu'il en coûterait de faire de tels travaux, et quels effets ils pourraient avoir sur la valeur de la maison. « Ça dépend des cas, dit l'expert. En général, les duplex se vendent plus cher, mais les cottages sont aussi très recherchés dans certains secteurs. »

Dans sa forme actuelle, le cottage habité par la famille de René et Lucie vaut environ 380 000 $, selon une évaluation de M. Savignac, basée sur les ventes de propriétés semblables dans le même secteur. Pour convertir la maison en duplex - ce qu'elle était à l'origine, avant des travaux réalisés il y a 20 ans - des rénovations d'environ 18 000 $ seraient requises. La valeur de la propriété augmenterait alors à 400 000 $. « L'appartement de quatre pièces et demi au deuxième étage pourrait être loué 750 $ à 800 $ par mois », indique Sylvain Savignac.

Si, après les mêmes travaux de conversion, les deux logements étaient transformés en copropriété, la valeur de la propriété grimperait à 450 000 $, soit 245 000 $ pour le rez-de-chaussée et 205 000 $ pour l'étage. Par contre, en plus des travaux, il faut calculer des frais administratifs d'environ 10 000 $ (arpenteur-géomètre, notaire, etc.) pour que les deux logements obtiennent le statut de copropriété, note l'évaluateur. « Si les deux logements étaient vendus en copropriété, la plus-value potentielle nette serait de 42 000 $ », dit-il.

À noter : la conversion en copropriété n'est pas toujours permise par la Ville de Montréal, mais dans un cas comme celui de René et Lucie, le changement est possible puisque les propriétaires occupent actuellement toute la propriété.