Les taux d'intérêt historiquement bas favorisent la consommation. Mais l'endettement des ménages canadiens, qui dépasse actuellement les 160 %, atteint des records. Les bonzes du commerce au détail devaient donc trouver une nouvelle façon d'attirer les clients. Ils l'ont fait en repoussant les limites du crédit.

Désormais, on peut payer une voiture neuve sur 96 mois (8 ans) ou une piscine sur 240 mois (20 ans). Est-ce une bonne idée de s'engager dans de telles mensualités prolongées? Oui, vous diront les commerçants. Non, soutiendront les associations de défense de consommateurs et les professeurs spécialisés en administration.

«Les gens ont de moins en moins d'épargne. Ils n'ont donc plus d'argent pour s'acheter des biens. Les marchands s'adaptent à cela. Ce qui explique pourquoi tout se finance de nos jours», explique Dominique Gervais, avocate responsable des services budgétaire et juridique à Option consommateurs.

À ses yeux, n'importe quel bien de consommation paraît abordable quand il est financé à long terme. «Pour une maison, ça se comprend. Mais une auto ou une piscine, ce sont des dépenses pour lesquelles on ne récupérera jamais l'argent. J'ai vu des cas où des consommateurs devaient continuer à verser des paiements pour une voiture qu'ils ne possédaient même plus», déplore Mme Gervais.

Le financement à long terme est un sujet qui préoccupe l'équipe d'Option consommateurs. L'organisme vient d'ailleurs de recevoir une bourse de recherche sur le phénomène. Les résultats de cette étude sont attendus à l'automne 2014.

Selon Georges Iny, directeur général de l'Association pour la protection des automobilistes (APA), un terme de 96 mois pour une voiture est une excellente stratégie de marketing. «Ça accroche le public, c'est clair», dit-il.

Toutefois, cela vient fausser les données. «On donne l'impression au consommateur que sa voiture lui coûte moins cher, ce qui n'est absolument pas le cas, explique-t-il. Le danger, quand on permet de prolonger les paiements, c'est qu'après six ans, la voiture vaut moins que les paiements résiduels. Je suggère donc aux consommateurs de ne jamais excéder un terme de 72 mois. Sinon, les rabais au comptant sont bien souvent supérieurs aux termes de 84 ou 96 mois.»

Jacques Nantel, de HEC Montréal, ne voit pas non plus la chose d'un bon oeil. «Cette approche fait en sorte que les ménages ne fonctionnent plus avec un budget, mais en calculant ce qu'ils sont capables de financer sur une base mensuelle, explique le professeur titulaire au Service de l'enseignement du marketing. On ne s'en rend pas compte, mais les ménages consacrent 10 % de leurs revenus au service de la dette.»

Dans leur promotion du financement sur 96 mois, les constructeurs automobiles vont même jusqu'à afficher le prix de revient aux deux semaines, question de faire miroiter un prix encore plus alléchant. Par exemple: la Hyundai Accent à seulement 60 $ aux deux semaines, à 0 % d'intérêt.

Jacques Nantel croit que dans un avenir pas si lointain, les détaillants pousseront l'exercice en misant sur un prix de revient calculé sur une base quotidienne. Une voiture pour seulement 4,50 $ par jour. Wow!

Me Jacques Béchard, PDG de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ), refuse d'y voir un leurre. «Les institutions financières ont des ratios. Ce n'est pas tout le monde qui se qualifie pour obtenir du financement», se défend-il.

Il ajoute qu'une étude de 2012 de la Corporation des associations des détaillants d'automobiles relève que les automobiles n'ont jamais été aussi abordables qu'en ce moment. «Il y a 29 marques différentes offertes au Québec. La concurrence est très vive. Les constructeurs doivent trouver des façons d'attirer des clients», souligne celui qui représente 850 concessionnaires et quelque 30 000 travailleurs.

Une seule ombre au tableau, selon le PDG de la CCAQ. «On risque de voir le consommateur moins souvent. Il va prendre plus son temps pour payer son auto. On verra l'impact que ça aura sur les ventes dans les prochaines années», dit-il.